« Si l’on recherche en quoi consiste précisément (…) la fin de tout système de législation, on trouvera (…) ces deux objets principaux, la liberté et l’égalité. (…)
À l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit toujours au dessous de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois, et quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. (…)
C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir. »
(Du Contrat social II,11 Des divers systèmes de législation)
Parmi les philosophes des Lumières inspirateurs de la Révolution française, c’est Rousseau qui a le mieux vu et formulé l’indissolubilité du lien entre liberté et égalité. C’est le schibboleth de la vision politique de gauche : l’égalité en droit et en fait est la condition sine qua non d’une réelle liberté.
Dans son argumentation, on dirait qu’il répond par avance à Tocqueville. On connaît la méfiance de celui-ci envers la passion de l’égalité, qui serait le ver dans le fruit démocratique, pourrissant par l’envie le lien social si elle manque trop, limitant le progrès économique si elle progresse trop.
Une belle aubaine idéologique pour de prétendus libéraux. (Tocqueville lui l’était authentiquement, pensant le libéralisme économique au service de la liberté, l’autonomie, l’émancipation des individus). (Naïveté anté-tina thatchérien ?)
Rousseau formule clairement l’impossibilité de dissociation de ces deux valeurs, elles n’existent vraiment qu’ensemble. Il n’est de société réellement libérale (et tout simplement viable) que celle qui refuse que l’inégalité tue la citoyenneté. Certes ce n’est pas pour autant qu’on va donner quitus à quelques horreurs historiques. Égalité que de crimes on a commis en ton nom, par exemple dans des régimes prétendus communistes.
Dans la dernière phrase il faut souligner tend toujours, doit toujours tendre. Une entropie atteint toute société, une continuelle tendance à la déperdition d’énergie de liaison entre ses éléments constitutifs. Une entropie dont l’endiguement est le travail jamais achevé de la loi. Il faut imaginer le législateur en Sisyphe.
Et sinon : liberté, égalité … Et la fraternité dans tout ça ? (dira-t-on).
On peut la définir par la volonté la plus générale qui soit : celle du corps social humanité dans son ensemble. Pour le programme politique le plus simple qui soit : survivre.
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– « violence » ne s’exerçant « qu’en vertu du rang et des lois » : qu’est-ce donc que ce rang qui se glisse à côté des lois dont on se serait largement contentée…?
– faut-il considérer comme certains que payer un salaire à quelqu’un est « l’acheter », ou que si la rétribution est juste, il s’agit seulement d’une transaction loyale? c’est ce que JJ ici ne dit pas…
Peut-être, dame Ariane, m’éclairerez-vous?
La violence est nettement exclue je pense par les mots « toujours au dessous de toute violence ». Après, par une « puissance qui ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois » il me semble qu’il veut définir les cadres et les limites de l’autorité. Elle doit être justifiée par une position validée objectivement et ratifiée par le corps social (je comprends ainsi le mot « rang ») : exemples l’autorité que doit exercer un enseignant (validée par son diplôme, sa formation, son expertise), ou un magistrat, garant de l’égalité devant la justice. Conçue ainsi, la puissance de l’autorité est faite pour que la loi (protection du faible face à la « loi du plus fort ») soit autre chose que des mots (genre nième résolution de l’ONU).
Est-ce que payer un salaire à quelqu’un est l’acheter ? c’est acheter son travail, non lui-même, répondrait je pense JJ (bon, Marx compliquera un peu les choses). Il a sans doute plutôt en en ligne de mire toutes les formes d’esclavage, labellisées comme telles ou pas. Il me semble que sa dernière phrase sur « la force des choses qui tend à réduire l’égalité » est audible pour nous dans le contexte actuel, si l’on pense aux travailleurs ubérisés, entre autres. Sans parler bien sûr de l’inégalité dans le commerce international.
Bon : je ne sais si je comprends bien, ni si mes explications expliquent quelque chose …. En tous cas, merci, une fois encore, de ta lecture si précise et suggestive.
Si, tu comprends bien, merci de tes éclairages !