« Chacun de nous devrait tenir le journal intime de quelqu’un d’autre. » Oscar Wilde (Dans la conversation)
Super bonne idée. Mais en l’absence de contexte à cette phrase, je me demande sous quel angle exactement Oscar envisage la chose.
a) « Chacun de nous » et « quelqu’un d’autre » se rapportent à un cercle restreint, celui par exemple du salon où ces propos sont tenus. L’exercice pourra tourner à une variation raffinée (ou pas) d’un « jeu de la vérité ». L’occasion de se payer une petite tranche de médisance, aussi délectable que celle du cake accompagnant le thé. Ou de faire passer indirectement un message trop difficile à délivrer.
b) « Chacun de nous » et « quelqu’un d’autre » peuvent s’entendre dans l’acception la plus large. La phrase nous entraîne alors dans le champ moral le plus vaste. Loin de l’entre-soi des salons et ses mesquineries. (Quoique : le champ moral traverse un salon aussi bien que tout autre lieu, tout lecteur de Proust vous le dira).
Vue sous cet angle, la proposition rejoint ce que les Stoïciens, comme d’autres avant eux et après, nommaient exercice spirituel. Une gymnastique de l’esprit, à visée philosophique et morale, sur le modèle d’une gymnastique physique. Il s’agit ici d’atteindre la souplesse mentale nécessaire à se glisser dans la peau de l’autre, pour en épouser les pensées et sentiments.
Exercice de décentrement, d’ouverture, d’empathie. Exercice de dépaysement, qui arrachera le narcisse à son jardin pour le transplanter dans un autre jardin.
Se mettre à la place de l’autre, oui, mais comment s’y rendre à cette place, ou du moins -soyons réalistes-, comment s’en approcher, ou même comment l’apercevoir ? De quels points de vue, par quels détours ? Et ceux-ci, où les trouver ?
Comment s’approcher de l’autre ? Il me semble que c’est tout simple. Souvent dans le bus, dans la rue, même sans s’y efforcer, on capte des mimiques, des gestes, des paroles : on pourrait mettre une bulle au-dessus de la personne avec au moins un mot, une phrase (moi j’y joue souvent, c’est très rigolo). Et a fortiori dans des situations de rencontres plus structurées ou fréquentes, où l’on connaît un contexte de vie, où l’on a déjà assez communiqué avec la personne pour avoir une idée de ce qu’elle ressent ou pense. On peut se tromper bien sûr (c’est même très probable), mais ça ne fait rien, le but de l’exercice est juste ce petit déplacement vers l’autre.
Au fond, sur un mode plus poétique, cela m’évoque le film de Wenders « Les ailes du désir » : ces moments où les anges se tiennent, invisibles, auprès des gens, et écoutent leur discours intérieur. Le recueillent même, comme une chose précieuse.
Prendre la place de l’ange, c’est une solution. Il y faut un culot constructif, une humilité lucide, et un solide et bienveillant humour.
Oui on peut se tromper, essais et erreurs, mais le pas qui s’approche prudemment se fait .
Une espérance.
Parfois je me dis que dans le travail, il faudrait pouvoir parfois échanger les postes quelques semaines pour vivre les peines et les joies de l’autre, mais il faudrait tous être multitâches…Mao en avait fait une caricature
Oui échanger de temps en temps le poste de travail dans les entreprises ou administrations serait sûrement utile. Le manque de compétence qu’on ressentirait ferait mieux mesurer celle des autres. Quant à Mao, ce qui aurait été bien c’est qu’il laisse sa place, définitivement …