Évidemment que the dead don’t die. Évidemment que le film d’apocalypse et de zombie s’installe dans le désabusement le plus total, certes cela va mal finir répète le héros, mais avec flegme et fatalisme, sans surprise aucune. Nous sommes entrés dans l’ère des apocalypses envisagées, évidentes, réelles voire réalisées. Nous nageons dans un univers en décomposition comme les chairs mortes des apprentis zombies, figurants imaginés de nos peurs ancestrales.
Évidemment que nous aimons particulièrement les Mexicains, malgré la casquette Make America white again d’un redneck effrayé que ses poules disparaissent.
Et les zombies ont visages humains, robes colorées, vêtements distinctifs, hobbies différenciés, ils sont à peine plus morts que nous. Cette démarche de pacotille ne nous fera pas croire que nous sommes les vivants et eux les morts. Les mondes s’effritent.
Jarmusch rejoue Romero dans la joie désabusée de la parodie instinctive.
Nous suivons alors des yeux une zombie en mini-jupe qui nous aguichent avec malice.
Et les geeks ont beau convier tous les films du passé, le monde mourra de toute évidence, aucun rescapé, le film se clôt sur des carnages en contre-plongée, les deux flics (gentils) meurent alors tout le reste (l’ordre établi) meurt. Avec courage nous précise-t-on.
Les zombies sont notre peur-de-mourir et notre espoir-de-survivre. Ils réalisent et déréalisent ce qui nous échappe et abordent la part incalculable de la chair décomposée.
Mais avec l’ironie éclairée de Jarmusch ils parlent, conservent un seul mot réel, reflet de leur vie antérieure mue par une passion, un instinct fidèle qu’ils répètent à l’envi, avec un désir de communication exacerbée par la répétition.
Les morts ne meurent pas, des cimetières surgissent des mains repoussant la terre inévitable, et sur nos peurs associées aux ignorances racistes ou chauvines, se déplient des ombres fantasmatiques mais en couleurs, peuplées des couleurs futiles de la société imaginée.
Des flics anti-Trump expliquent alors que les vagabonds n’ont pas volé les poules du redneck trumpiste, qu’ils aiment bien les Mexicains et que le monde pourrait être fraternel, mais pourrait seulement.
Mais le consumérisme des morts-vivants est la cause ultime de leur sort. Ils ont consommé des objets électroménagers, des consoles de jeux vidéo, et leur hubris, une fois de plus, les a punis.
Un vagabond extraordinaire, couleur de terre et d’herbe, observe depuis la forêt la vie effondrée des hommes de la société parjure. Il rend son verdict, après avoir grillé au feu de bois, près de sa hutte, un lapin auquel il a ôté sa peau.
Il habite dans les bois, déconstruisant les rêves émaciés des capitalistes purs.
Il rend son verdict sur le consumérisme et de loin, dans les arbres, est épargné de la grande dévoration commune induite par les zombies, non coupable de consumérisme.
La nature reprend ses droits, reine multiple, terreuse et sombre, parmi les arbres épargnés qui abritent le vagabond réchappé du courroux des dieux absents. Les animaux domestiques s’ensauvagent à tout va.
Parabole écartelée entre américanisme et écologie.
Ce vagabond se parle à lui-même, nous parle, allégorie de la marge, refus volontaire de participer du festin : les consuméristes dévorent les ressources terrestres et sont dévorés par les zombies et renaissent zombies, zombies obsédés par leur consumérisme antérieur, décadents et sursignifiants.
Les morts ne meurent pas, mais l’humanité meurt de ses excès, dans la nature déshumanisée. Un seul rescapé ne réduira pas le silence.
Zombies politiques. Bob l’ermite lance ses diatribes à la face urgente des consommateurs essentiels.
Nosferatu hante nos visions infernales. Psychose s’invite à la fête.
La faucheuse écossaise s’entraîne aux arts martiaux et au sabre. Visage presque albinos, vaste cape moyenâgeuse, la grande faucheuse déprogramme sur l’ordinateur l’organisation sociétale établie. Elle élabore et signe le chaos informatique, très calme dans la débâcle.
Elle double la faucheuse de Bergman, modernisée et impassible. Elle est l’abstraction de la mort, face à la réalité parodique du zombie décomposé dans ses chairs.
Elle sursignifie notre limite et déconstruit tout notre orgueil policé.
Étrangement la nuit ne tombe plus. Le jour est devenu nuit. La calotte glacière se fracture modifiant l’axe terrestre. Les journalistes tâchent de rendre compte de la faillite sans sourciller. Jarmusch se fait cinéaste engagé, dissimulant sa colère sous la parodie. Et le jour décidément se refuse à tomber.
Le flic brise l’illusion filmique (c’est la chanson du film) pour ouvrir nos yeux œdipiens (Jim lui a fait lire le scénario).
Mais un OVNI surréaliste déstabilise toutes les interprétations libre – seule la faucheuse repart dans l’espace, mission accomplie.
(Jim Jarmusch, The Dead Don’t Die, 2019)
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Et moi qui m’étais juré de ne jamais regarder un film de zombies tant la seule vision des bandes annonces me faisait faire de cauchemars…me voilà teasée à souhait pour découvrir ce terrible Jarmusch, même si, je le crains, on doit ressortir essoré de ce pessimisme grinçant, nonobstant la survie du Thoreau écorcheur de lapins et la résistance à mort des deux toreros anti trompe…
Il est vrai que Jarmusch, dont je suis loin d’avoir tout vu, ne m’a jamais déçue…
Série à suivre en cette cannoise période !
Pas du tout, Laure-Anne, je te le conseille, j’ai beaucoup aimé et ri souvent. Sans divulgâcher, il est vrai que ça ne finit pas bien pour nos amis très sympa au demeurant er courageux. Mais c’est notre sort à tous et vu le désastre écologique qui s’annonce, alors que ( presque) tout le monde a oublié les engagements et promesses de ne pas revenir au « monde d’avant », on risque de finir desséché. Ou piqué à vif…. That’s life, isn’it? The show must go on et long life to cinema!
Long life au cinéma, ça laisse un peu d’espérance à ceux qui le font et ceux qui le regardent !