Introduction en forme de parallèle.
J’ai découvert les écrits politiques et philosophiques de Germaine de Staël* à l’occasion du premier confinement, ce qui m’a laissé tout loisir de les explorer. Au fur et à mesure de ma lecture, j’ai été amenée au rapprochement avec devinez qui devinez quoi : Montaigne et ses Essais. Toutes choses égales par ailleurs certes. Quoique. Les points de rapprochement ne manquent pas.
Tous deux vivent et écrivent dans une période historique de mutations radicales. Et qui ne se font pas sans douleur. Tous deux ont subi de près la violence politique, le fanatisme, ce que Germaine nommera l’esprit de parti. Tous deux ont réussi à garder leur lucidité dans la folie ambiante, cultivant malgré tout un espoir que l’humanité persisterait en humanité.
Mme de Staël parce qu’elle était nourrie du projet émancipateur des Lumières, lectrice de Montesquieu, Voltaire, Rousseau. M. des Essais parce qu’il était nourri de l’humanisme universaliste de la Renaissance, lecteur des philosophes antiques, d’Erasme, de Rabelais.
Ils ont tous deux associé foi humaniste et pragmatisme sans illusion. Dans leurs écrits comme dans leurs actes. Ou, comme le dit si bien Montaigne, en allant de la plume comme des pieds.
J’ai ainsi trouvé dans la lecture de Germaine un plaisir comparable à ma lecture de Michel. Même présence authentique et pleine d’une personne dans les mots*, même intelligence, lucidité, subtilité, humanité profonde. Même façon aussi de mêler, de faire dialoguer, l’intime et le général, le personnel et le politique.
Bon j’avoue je trouve Michel plus facile et agréable à lire. Germaine a tendance à faire des phrases interminables, bien construites d’accord mais quand même un peu indigestes. Michel est souvent très dense, mais il a le don du mot qui fait déclic. Il est un styliste vraiment hors du commun, tellement inventif, incisif, drôle et profond à la fois (oui je sais je l’ai déjà dit beaucoup de fois, mais quand on aime, hein …) Et puis surtout il y a ce mouvement dans son écriture, ça bouge, ça varie tout le temps, c’est tellement vivant.
Germaine a parfois de vrais bonheurs de plume, surtout quand elle parle psychologie, mais d’humour pas vraiment. Non qu’elle se prenne au sérieux au mauvais sens du terme. Mais écrire drôle sur des choses difficiles n’est pas donné à tout le monde. Et puis elle est déjà dans l’esthétique romantique qui n’a pas peur d’en rajouter dans le pathos.
Cependant, au plan de l’analyse proprement politique, les écrits de Germaine sont plus élaborés que ceux de Michel. Faut dire qu’étant en aval du temps par rapport à lui, elle avait forcément plus de matière encore.
Et puis cela tient sans doute au fait que Michel ne veut pas, dit-il, se mêler d’enseigner autrui (de façon formelle en tout cas). Germaine, elle, tout en partageant la conviction que son travail est d’abord à son propre usage, assume de parler aussi pour guider autrui. Mais à sa façon, toute de sensibilité, de bonté, de tact, que j’espère l’on goûtera autant que moi.
J’ai choisi de vous proposer de parcourir (à grands traits car il est long et consistant) un écrit qu’elle consacre au bonheur. Mot sympathique, mais à la définition floue. Germaine le conçoit comme gagné sur les « passions » : autre mot flou, convenons-en. Nous allons voir comment, par sa réflexion et son expérience, elle tente de les préciser, l’un et l’autre.
*Madame de Staël. La passion de la liberté. (Bouquins Laffont 2017)
**Outre ce profit que je trouve d’écrire de moi, j’en espère cet autre que, s’il advient que mes humeurs plaisent et accordent à quelque honnête homme avant que je meure, il recherchera de nous joindre : je lui donne beaucoup de pays gagné (lui épargne beaucoup de chemin), car tout ce qu’une longue connaissance et familiarité lui pourrait avoir acquis en plusieurs années, il le voit en trois jours en ce registre, et plus sûrement et exactement. (Essais III, 9 De la vanité)
Crédit image : Gallica (gravure de Laugier d’après la peinture de Gérard)
Voilà qui donne de l’appétit ! Et d’autant que je me suis plongée un brin (en dilettante) dans les Mémoires outretombesques de M. de Ch, l’admiration que lui voue ce beau sculpteur de phrases et scanneur terrible de l’âme et de la politique, royaliste invitus et démocrate toto animo, m’avait justement donné envie de m’approcher de la dame.
Merci de construire des ponts vers elle dans ta nouvelle série!
****(Ah ces grands lecteurs de l’humanisme, qui lisent les Essais en 3 jours ! Respect!)
Moi inversement G de S m’a donné envie de relire Monsieur de Ch, mais je ne m’y suis pas encore mise, flemmarde que je suis. Quant à lire tous les Essais, une vie n’y suffit pas c’est clair, mais ce qu’il y a de bien, c’est qu’en chaque endroit, en chaque phrase ou presque, Montaigne est là tout entier, sur ce point il n’exagère pas je trouve. Allez la prochaine série sur M. des Essais … Mais bon d’ici là Germaine va nous occuper un moment.