Il y a autant de manières de traduire que de traducteurs dirait un amateur des poncifs creux. Nous posons, contre les fous d’un relativisme mal fondé, qu’il y a une méthode et qu’on peut presque toujours se prononcer sérieusement pour ou contre une traduction – ni Valéry Larbaud, sous l’invocation de Saint-Jérôme, ni Brasillach, tenté par la rhétorique, ni Yourcenar, infidèle précieuse, ni… ni…, ne donnent la clef. Les théoriciens, Eco le négociateur, Ladmiral le cibliste, Meschonnic le sourcier fou, pour ne citer qu’eux, pourraient passer leur mort à en débattre.
Disons simplement que l’épigramme repose sur une forme métrique, le distique élégiaque, dont on rappelle simplement qu’il consiste en l’appairement d’un vers ample et d’un vers plus court où l’alternance de syllabes longues et brèves constituent l’unité minimale du pied – le plus souvent dactylique (une syllabe longue suivie de deux brèves ˉ ˘˘).
La poésie grecque n’est pas rimée et n’est pas syllabique, mais repose évidemment sur des jeux assonantiques, rehaussés de coupes accentuelles qui superposent accents des mots, accents des vers, rythme des pieds, et récurrence de schémas syllabiques contraints.
L’apparente complexité du mètre grec ne peut se résoudre ni par la projection du système métrique français, car jamais l’alexandrin accouplé au décasyllabe ne pourrait rendre de façon satisfaisante l’ampleur d’un vers que la flexion rend économe, et la syntaxe, distendu, ni par le rêve tout à fait chimérique d’un accent de phrase dont le français est pauvre, ni par la prose qui déferait ce qu’il y a de métrique en aplatissant le vers grec, ni par la glose paresseuse ou pudique des traducteurs modernes. Que reste-t-il alors ?
La solution persienne. Saint-John Perse, alors Saintleger-Leger, traduisit, jeune homme, quelques Pythiques de Pindare pour en étudier la métrique. Il retint pour le faire un verset dissimulant des mètres réguliers, dont les rythmes pairs reproduisaient à la fois l’allant grec, dont ils préservaient l’ampleur, et la métrique française, où vers de six, huit, dix ou douze syllabes étaient la norme. La voie crypto-métrique, s’il faut lui donner un nom, insatisfaisante pour la raison même qu’elle est une négociation avec le texte grec, nous a paru la ligne de crête où la fidélité aux deux systèmes poético-linguistiques pouvait être tenue. Le lecteur sera juge de la réussite ou de l’échec de cette option.
Bien que ne connaissant pour ainsi dire rien à la métrique grecque (et sans être fan de Saint-John Perse), j’apprécie fort cet article, pour sa clarté, sa précision, et la rigueur de son questionnement sur l’art de la traduction. L’occasion de regretter que l’on ne rende pas plus souvent justice aux traducteurs, ces serviteurs discrets de la transmission culturelle. Il faut leur savoir infiniment gré de nous permettre d’approcher des oeuvres à distance de nous dans le temps ou l’espace, et que sans eux nous ne pourrions goûter.