« Je ne peindrai point la religion dans les excès du fanatisme (…) ce que j’ai dit sur l’esprit de parti est applicable à cette frénésie comme à toutes celles causées par l’emprise d’une opinion. »
(G de Staël. De la religion)
Quant à lui « Le théisme des hommes éclairés, des âmes sensibles, est de la véritable philosophie ».
Germaine va donc envisager la religion dans son acception commune, c’est à dire un ensemble de croyances, de conseils (ou d’injonctions) d’ordre éthique, et de rites. Ceci en fonction de son propos directeur : « Examinons avec impartialité ce qu’elle peut pour le bonheur. »
Elle anticipe d’abord, une fois de plus, l’analyse freudienne (dans L’avenir d’une illusion) : « La religion ouvre une longue carrière à l’espérance, et trace une route précise à la volonté : sous ces deux rapports elle soulage la pensée.»
Plus inattendu, elle argumente sur l’effet préventif de la violence que constitue la clôture monastique : « Peut être même des hommes dont la nature véhémente les eût appelés dans le monde à commettre de grands crimes, livrés, dès leur enfance, au fanatisme religieux, ont enseveli dans les cloîtres l’imagination qui bouleverse les empires. »
On l’entend presque penser : ah si Robespierre était passé à la Trappe …
Quant à la plupart des gens, elle constate que pour eux l’ivresse révolutionnaire a remplacé un temps la religion dont on voulait émanciper le peuple. Mais c’était au fond, remarque-t-elle, le même effet d’opium, permettant de « ne plus sentir le vide ni l’inquiétude de l’existence ».
Soulagement ou opium, poursuit Germaine, le bonheur que propose la religion est illusoire.
Et globalement le plus clair c’est qu’elle ne vaut pas les Lumières.
Au plan éthique « Les qualités naturelles, développées par les principes, par les sentiments de la moralité, sont de beaucoup supérieures aux vertus de la dévotion. »
Et au plan intellectuel c’est carrément la misère car « ces dogmes dominateurs » sont une « espèce de suicide de la raison. »
(Bel écho, involontaire je pense, à l’expression de Spinoza l’asile de l’ignorance).
Elle conclut donc ce chapitre, et la deuxième section sur les sentiments, par sa profession de foi à elle :
« J’ai donc dû (…) ne pas admettre la religion parmi les ressources que l’on trouve en soi, (…) puisqu’elle nous soumet, et à notre imagination, et à celle de tous ceux dont la sainte autorité est reconnue. En étant conséquente au système sur lequel cet ouvrage est fondé, au système qui considère la liberté absolue de l’être moral comme son premier bien, j’ai dû préférer et indiquer, comme le meilleur et le plus sûr des préservatifs contre le malheur, les divers moyens dont on va voir le développement. »
La liberté absolue de l’être moral : insistons sur moral. Ce n’est pas l’abandon irraisonné à des pulsions immédiates et « personnelles ». Quant à absolue ça dépend comment on l’entend. La liberté, pour être non seulement juste mais effective, doit s’enraciner dans une autonomie conjuguée à la responsabilité à l’égard d’autrui.
Autonomie, responsabilité : valeurs précisément qui fondent les ressources que Germaine va présenter dans sa troisième partie.
Crédit image : wikipedia. Germaine et sa fille Albertine par Marguerite Gérard