Journal de fouilles (18XX-19XX), extraits choisis par Axel Sourisseau
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2 septembre 18XX
Ici, les statues sont si monumentales qu’on a autrefois enlevé les couches d’or et d’argent qui les recouvraient après l’escalade d’une épaule divine. Des voyageurs passés les ont vu encore resplendissantes, si l’on en croit les récits de voyage de Jill Asfûdiln (1402) et de Tamar Hèllnè (1413). […] Le tremblement de terre de 1645 ne nous permet plus aujourd’hui de contempler ces sculptures sur pied, exception faite des émydes monumentales installées aux quatre coins intérieurs du sanctuaire aux Tortues d’Argent. […]
4 septembre 18XX
Amir Nissèv demeure introuvable. A l’emplacement présumé de son mausolée, des blocs sans inscriptions, des fossés putrides. […] Alors qu’à peine quelques centaines de mètres plus au nord, un petit portique couvert de graffitis n’attend que mon attention. Et sans doute la poésie est-elle là, dans ces mains anonymes qui ont tracé calembours, pamphlets et déclarations d’amour au détour d’une beuverie ou au hasard d’une errance. Ces inscriptions sont plus proches de nous autres que le reste, plus proches de nous que ces édifices encore debout, manifestations écrasantes des institutions.
10 septembre 18XX
La commission du Ministère des Antiquités m’a renvoyé une nouvelle missive, s’étonnant que je ne réponde pas à la précédente. Je ne répondrai pas non plus à celle-ci, ni aux suivantes. Au diable les remontrances institutionnelles. Iris et Nori ne comprennent pas que je sois prête, malgré les mises en demeure financières, à rester dans ce qu’iels considèrent comme un trou maudit. Eh bien, qu’il le soit, puisque tant de merveilles. Quel fabuleux enfer ! Et les marais au pied de l’ancien cap royal – marais qui ont remplacé la mer – peuvent bien charrier ses moustiques et ses pâleurs, je préfère les supporter ; adorer pour eux le dieu Rîvi des anciens kénarides, je préfère tout cela que rentrer supplier la capitale suffocante.
3 octobre 18XX
J’ai quitté hier la maison de fouilles. Définitivement. Désormais, je ne dépends plus de notre Glorieux État mais de la famille d’Iris et des mandats que m’envoie ma sœur. Je les récupère au village le plus proche, à trois heures d’âne. Le Ministère des Antiquités m’a privé de tout, presque de bonne guerre. Des médiateurs ont surgi un matin, sans crier gare, mais Alda m’avait prévenu : ici et aux alentours, les nouvelles se transmettent d’autant plus car elles sont précieuses pour les âmes isolées. Trois hommes suants ont constaté mon absence, questionné villageois et villageoises sans succès. Selon les dires, je m’étais volatilisé, j’étais partie. Or, j’étais avec Nori et Iris dans les sous-sol, une lampe à huile à la main, toute frémissante d’une incroyable découverte…