Dans une cuisine sombre éclate la robe couleur de soleil.
Gamelles de bois, four à bois qu’on allume d’un tison près de la cheminée, masure moyenâgeuse crépusculaire où flambe cette robe-soleil.
De ce contraste naît la double appartenance de la femme, souillon/princesse.
C’est dans la cuisine qu’elle opère, ruse avec la bague, noue et dénoue son sort.
La fille du roi faisant un cake d’amour est une fille du roi mettant main à la pâte, d’une façon très pragmatique elle additionne les ingrédients, un à un, en toute simplicité : farine, œufs, sucre, lait beurre, levain, miel. Elle enfonce même le couteau à la fin pour vérifier la cuisson.
Elle accomplit les gestes élémentaires de la composition d’un gâteau.
La femme prépare le gâteau commandé par l’homme (le prince). La femme en cuisine.
Peau d’Ane, volontaire, prenant son destin en mains, cache dans la pâte sa bague, et les femmes du royaume défileront ensuite pour essayer d’enfiler leur doigt dans la bague, telles des Cendrillon essayant la pantoufle de vair.
La cuisine illuminée de la robe-soleil s’illumine aussi de la présence de Deneuve, peau très claire, cheveux très blonds, féminité acquise, qui trône même sous la peau d’âne grise. Seul le jaune (des œufs, du poussin, de la robe) apporte de la couleur.
La cuisine est sombre par définition, contrastant avec un film où les couleurs s’entrechoquent. Sale comme la peau d’âne.
Mais Demy dans les seventies renouvelle le genre. Le gâteau devenu cake s’américanise, l’ironie pointe sous la forme d’un poussin sortant d’un œuf cassé.
Lorsque Catherine Deneuve prépare son cake d’amour, elle se dédouble, l’une Peau d’Ane, la souillon, dictant à l’autre, la princesse, la recette. Dans un champ/contre-champ s’affichant comme tel, avec la nonchalance ironique de la Nouvelle Vague.
La souillon dicte à la princesse, qui exécute.
Bien maigre révolution.
Dans une autre chanson de la suite du film, le prince et la princesse devant une table chargée de mets évoquent la vie idéale : nous nous gaverons de pâtisseries. Là la vision psychédélique ancre l’image dans les seventies, fleurs artificielles au sol, table de réception totalement incongrue en plein champ.
Au réalisme s’oppose alors l’onirisme, revêtu des habits du cinéma, des artifices autorisés à la comédie musicale hollywoodienne.
De souillon la femme est devenue princesse. Tout ou rien.
La femme cuisine pour être digne du futur mari, et seules les visions psychédéliques et l’ironie sauvent le film par la suite. Au gâteau réaliste et brun « fait maison » sorti du four s’opposent les pâtisseries élaborées de la table rêvée en plein champ, hors cuisine.
Le film va plus loin que le conte, rachetant la cuisine conventionnelle par le banquet féérique digne du surréalisme d’un Buñuel devenu léger.
Le film, plus que le conte, sort de la cuisine, mais la femme en sort-elle (à moins d’être princesse) ?
La femme sort-elle de la cuisine autrement que lors d’un rêve psychédélique ?
(Jacques Demy, Peau-d’Ane, 1970)
Du moins le film dont, ânesse et princesse, elle est le centre, l’invite à d’autres festins, ceux des illustrations de contes, ne pas demander à un temps plus qu’il n’a, comme à la plus belle fille du monde, (disait ma grand-mère d’un autre temps encore), mais y attraper la tangente que l’artiste comme tu l’as montré désigne d’un doigt défait d’anneau et discret…