CRA, 115 propos d’hommes séquestrés,
éditions des Lisières, 2019.
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Tout ce qui suit est basé sur des entretiens avec des hommes séquestrés dans les Centres de Rétention Administrative de Vincennes et Sète (uniquement destinés aux hommes) entre 2016 et 2019 et sur des entretiens téléphoniques avec leur compagne ou famille proche réalisés (et traduits de l’anglais pour certains) par Mathieu Gabard. Le travail s’est fait à partir d’enregistrements audios, de notes prises pendant les entretiens ou écrites de mémoire, après.
Note de l’auteur
Les Zones de Séquestration et de Tri d’Humains (ZSTH) qu’on connaît sous le nom de « Centres de Rétention Administrative (CRA) » ont été officiellement mises en place par l’État Français à partir de 1981. Il y en a vingt-quatre sur le territoire français. Des femmes, des hommes et des enfants ne répondant pas aux critères administratifs y sont séquestrés pour une durée maximale de trois mois depuis janvier 2019 (en 2011 elle avait été fixée à un mois et demi, en 1981, elle était de sept jours). Durant cette période, si la préfecture obtient un laissez-passer consulaire de la part d’un autre pays, ils sont déportés. Dans le cas contraire, à l’issue de la durée maximale de séquestration, parfois avant, ils sont relâchés.
ARRESTATION
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À six heures du matin, chez moi, je me réveillais pour aller au lycée, je demande « c’est qui ? » Ils disent « c’est moi, c’est les éducateurs », j’ouvre la porte, c’était la police avec eux. Ils m’ont dit que c’était parce que j’étais dans une situation irrégulière, que j’étais pas mineur – je suis mineur. J’ai fait trois mois de prison et je suis arrivé là
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ça fait quatre ans que je suis là et je travaille continu, j’ai jamais arrêté le travail, j’ai plus de quarante fiches de paye et j’étais déclaré, contrat de travail, CDI après ils m’ont ramené ici. Moi je suis jamais rentré en prison comme ça, j’ai jamais eu des menottes sur les mains. J’étais en train de travailler au chantier – je suis un maçon, qualifié – il y a quatre policiers qui sont venus, ils m’ont demandé les papiers, je leur dis « j’ai pas », ils m’ont ramené ici
SÉQUESTRATION
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ils m’ont mis ici parce que mes papiers sont pas en règle, je leur ai dit « c’est vrai j’ai pas de papiers en règle, mais je veux que vous me preniez comme un être humain, comme tout le monde »
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toute la journée enfermé, ça me rend fou, tu n’as rien fait, tu n’as frappé personne et tu es enfermé
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ici ils font des grèves de la faim pour sortir, il y a même des gens qui mangent des morceaux de fer, des piles, des briquets, c’est pas normal, moi je fais pas ça
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il a refusé d’aller à la salle de restaurant, donc ils l’ont traîné par terre, et ils lui ont même mis un coup de pied pour qu’il aille manger, le problème c’est qu’il a plus vraiment de force, il arrive plus vraiment à marcher. Demain il va voir un docteur pour décider s’ils l’emmènent à l’hôpital ou pas, apparemment quand ils l’emmènent à l’hôpital, s’il refuse la perfusion d’eau sucrée, il est libéré, donc peut-être demain il est libre. Il m’a dit « ils m’ont traîné pire qu’un chien de mon lit à l’escalier ». Ils l’ont poussé pour qu’il aille à tout prix manger, ils ont insisté, comme il m’a dit avec ses mots « je souffre pour m’en sortir »
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je veux pas passer un jour de plus dans ce centre, je préfère qu’on me renvoie en Suède et en Irak. Vous devez fermer ce lieu. Si vous arrivez à faire que ce lieu ferme, vous commencez à fermer chaque lieu comme celui-ci. On peut rien faire ici, c’est pire que la prison, pas de sport, on est comme des animaux, vous devez aider les gens à l’intérieur. Ici c’est comme être en Irak, en Syrie ou dans un pays du Moyen- Orient, c’est pas la France, c’est pas de l’humanité ! Vous devez alerter les médias sur ce qu’il se passe ! Ici c’est fermé, c’est secret, appelez les médias s’il vous plaît. Ça va pas! J’espère que vous allez fermer ce lieu
DÉPORTATION
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il a refusé le premier vol, et le deuxième vol il sera pas affiché, ils viennent d’un coup vers six heures du matin, huit-neuf policiers, ils l’emmènent. Il y a un très grand problème : quand on refuse la première fois, la deuxième fois, ils nous emmènent d’ici jusqu’à l’aéroport, à l’aéroport ils nous scotchent complètement et ils nous mettent un masque. On n’est pas des terroristes pour nous faire ça, on est juste des gens qui n’ont pas leur chance. Ils ont tenté leur chance chez eux, ils l’ont pas eue. Ils sont venus ici pour améliorer leur situation, pour aider leur famille là-bas et ils se retrouvent dans un avion scotchés et rentrés vers leur famille, c’est un peu dégoûtant, c’est même beaucoup dégoûtant parce que, imagine comme par hasard ce jour-là, un mec de son quartier rentre avec lui dans l’avion et il le voit comme ça. Nous on voudrait qu’ils arrêtent de renvoyer les gens de cette manière. Certains, qui ont beaucoup de force ont réussi à refuser la deuxième fois, en hurlant, et quand le pilote entend un passager qui crie, il décolle pas, ils sont obligés de le faire sortir. La troisième fois, il sera raccompagné, avec d’autres policiers. Quand il est accompagné, il est renvoyé c’est sûr, c’est cent pour cent, parce que quand tu cries, ils te frappent. Ils sont techniciens, ils savent où frapper pour te faire mal et que t’arrêtes de crier
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j’ai déposé plainte pour violences policières et ils me renvoient, c’est du cinéma tout ça, que du cinéma, même là-bas, au Maroc, je vais pas lâcher l’affaire et continuer pour la plainte, ils disent « liberté, égalité, fraternité », rien du tout ! L’avion va direct à Casablanca, après je vais aller à Fès, je sais même pas ce qu’il se passe dans le pays depuis dix-huit ans, quand je vais arriver là-bas on dirait je vais tomber de l’échelle.
Je suis avec un Roumain, ils vont le renvoyer en Roumanie
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je préfère accepter l’avion, qu’on me renvoie en Italie. Le policier est venu me voir, il m’a dit que je pouvais faire de la prison si je refusais, je vais accepter, et je reviendrai