Panneau signalétique clignotant Mulholland drive par deux fois dans les nuits de Los Angeles, bien sûr Hollywood est inscrit sur la colline, le film s’inscrit dans un lieu précis fantasmé pour que se lèvent des femmes interchangeables, héroïnes simplifiées d’un cinéma américain et stéréotypé que le film entend déstéréotyper pour dénoncer ce qui fait mourir les femmes, la blonde et la brune, femmes fatales estropiées de leur vie intime, mi-rêvées mi-réalisées.
Absorbant les diktats d’une industrie luxueuse permettant de construire villas neuves ou moins neuves et piscines lumineuses sur le flanc d’une colline plus démythifiée que mythique.
Quelle femme survivra de la blonde ou la brune ? Quel homme aura le dernier mot dans l’univers impie qui décide des carrières et des destins, qui assoie la mort et la vengeance dans la tragédie hollywoodienne que les Atrides ne renieraient pas. Rêves en boucle, suicides lents ou brefs, amnésie péniblement déconstruite, les femmes luttent pour être les stars d’une illusion plus que transcendante, elles brûlent leur crédulité dans des castings surjoués où les hommes n’hésitent pas à tripoter leurs corps consentants par obligation et déstabilisés par manipulation masculine.
De tout en haut, d’une pièce recluse et vide, décide un homme sur fauteuil roulant, faux handicapé effrayant – ou bien un producteur avide, un réalisateur qui croque les femmes et les modèle à sa terrible mesure – les femmes s’échangent, se dédoublent ou se complètent, sous les mains des hommes marionnettistes de leurs vies, et tel un leitmotiv facilité par l’obscurité fondamentale un large plan de nuit en plongée sur les lumières multiples de la ville américaine et épanouie, la nuit du cinéma-lumière, la nuit induite par les tournages vertigineux où l’on vend son âme à l’homme-diable pour quelque notoriété déceptive.
On entre alors dans le cœur du cinéma hollywoodien, cœur pourri par inadéquation et construisant des stars à partir des décombres de leur libre-arbitre dévalisé (un restaurant étrange peuple les déjeuners d’illusion), des femmes fatales qui se dévorent entre elles avec la passion sauvage qui oscille entre meurtre commandité (voiture noire, hommes vêtus de noir, accident fortuit) et suicide par dépit, corps glauque de décomposition avancée. Le cinéma refuse alors de se construire à ce prix et hurle l’infaisabilité de la star hollywoodienne, son incapacité à vivre, sa soumission au machisme des producteurs-réalisateurs-metteurs en scène – et la décomposition du mythe quand le cinéma change de siècle et offre un thriller déconstruit d’où tous les rêves estompés illuminent une pellicule réflexive et noire, où Rita-Gilda questionne la soumission des femmes soi-disant stars mais dont les réalités deviennent plus obscures et oniriques que les abnégations féminines. Même les réalisateurs n’auront pas la révolte ultime face aux producteurs – juste la facilité de la peinture rose, un gag éculé dont le machisme sortira indemne puisque tout est rêvé par définition.
Clef bleue des Alice sans merveille, cowboy archétypal enjoignant la soumission hollywoodienne et funeste. Silencio interminable, monstre sans abri échevelé au bord inouï de tous ces rêves élaborés dans le vertige d’un onirisme fantasmé.
(A propos de Mulholland drive, David Lynch, 2001.)
J’avais beaucoup aimé ce film, en ayant l’impression de n’y avoir pas compris grand chose, tant il était cousu de mauvais rêves poétiques et libérateurs aussi, purgeurs parce que nourris de perfection formelle…l’éclairage que tu donnes ne bouche pas les trous narratifs – il n’y a pas lieu dans les rêves- mais y insère du sens – ou y dévoile des non-sens