c’est la neige qui blanchit en retour la culpabilité-femme
dans le film de procès la femme-juge n’est pas belle elle ferme son visage à toute douleur toute tendresse
la mère sait qu’elle peut perdre alors quand l’enfant ordonne qu’elle parte tout son visage s’effrite aborde les larmes et la confidence
l’avocat est très pro très pratique il fait parler l’accusée il écoute en anglais de préférence il sourit quand il faut
la neige accomplit alors son devoir de neige elle colporte la pureté naturelle qui déserte les humains et les couples épuisés
des enregistrements explosent les disputes et la vie commune de qui a usé des années à édifier une famille à trois
le chalet et la neige en dernière instance tout en haut le chalet au bout de la route enneigée et l’épouse blonde s’ennuie peut donc tomber amoureuse d’une étudiante brune et légère
la neige est la parure de l’absence la bande-son intensifie la musique du crime PIMP très rap version instrumentale
et la mère est une mère écrivaine elle publie des romans quand le père ne publie pas (un roman avorté un chalet à restaurer une vie de prof à exorciser)
la neige alors se charge de la revanche elle fluidifie le froid elle s’accorde au chien d’aveugle plus aimant que tous les couples en fin de vie
donc la chute est-ce suicide ou meurtre et le sang sur la neige façon Roi sans divertissement le sang sur la neige comme un cri dans la routine
une œuvre littéraire est-elle fiction pure ou s’extrait-elle de la vie vécue à l’extrême
la neige comme une offrande de la montagne à qui peut tout perdre après quelques paroles enfiévrées de l’avocat général totalement imprégné de son rôle
la neige aura-t-elle raison de ce que pensent les jurés le fils reniera-t-il sa mère écrivaine sa mère qui pleure sa mère qui boit un verre avec l’étudiante
mais l’enfant aux yeux morts comme un Œdipe ayant tué le père à son insu l’enfant aura-t-il l’instinct de la mère ou de la neige
qui dissèquera in fine la chute qui expliquera le couple et ses disputes et le mari jaloux des romans de la mère et le ressentiment raté des fiers ou bien la renommée tranquille des victorieuses aux yeux qui pleurent
les avocats sont des voix outrées des arguments tonitruants et toutes les hypothèses sont ouvertes même la mort du chien
la neige et la forêt la longue marche de l’enfant presque aveugle l’enfant et le chien-guide la neige et le petit pont de bois sur la rivière claire les sapins et la montagne
toute la beauté parcellaire des mères des écrivaines des pleureuses et des chutes toute la beauté des femmes créatrices et libres toute la beauté
l’enfant aveugle voit la vérité des discours il outrepasse la juge dubitative et fait taire l’avocat général il a l’amour
dans le corps le doute hors les yeux la vie qui s’obstine dans la neige l’anatomie de la neige en désespoir de cause
un avocat est un ami une éducatrice ne peut l’être on trinque avec la vie on sort des tribunaux on prépare à manger à l’enfant on survit à tous les crimes les maris jalousent les femmes écrivaines (une blonde froide comme l’hiver en montagne mais qui pleure dans les vides mais qui sursignifie la mère en passe de perdre l’enfant le procès et l’histoire)
mais la neige
les yeux bleu-vide de l’enfant c’est comme Œdipe cherchant la vérité à Colone c’est comme
la neige
en anglais ou en français la langue quête la scène manquante le hors champ fantastique et gore
le piano très rapide that’s not the point la musique et la mort le déchiffrage des gestes
en contre-champ home movie photos de la vie de famille passée la vie vivante et la joie
le couple c’est comme la destruction planifiée de l’amour initial
mais la neige aveugle comme toute chute
les films de procès font le procès de la vie
mais la neige blanchit le geste de cinéma le geste devoir
l’enfant aveugle est le point de vue du spectateur toute omniscience s’enlise dans la forêt vierge seul le chien sait
que la justice vertigineuse n’est pas la neige
la parole-verdict court après l’image-reconstitution tout le cinéma n’est que la vie-reconstitution
éclairé de tant de neige le cinéma-procès
(car hors justice le sentiment maternel)
A propos d’Anatomie d’une chute, Justine Triet, Palme d’Or 2023.
J’aime beaucoup ce texte qui déplie poétiquement toute la profondeur de ce film magnifique et relance sans fin l’interprétation.