Les plumes de Léon, 2023,

atelier d’écriture animé par Gabriella Zalapi

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C’est Gabriella Zalapi qui est cette année invitée à animer un atelier d’écriture dans le cadre des Plumes de Léon, le festival littéraire organisé chaque année au cœur de la vallée de la Vézère, dans le petit village de Saint-Léon, par Béatrice Huber, depuis quatre ans. L’auteure se campe au milieu de la pièce, les yeux perçants, d’une couleur entre ombre et lumière, les lunettes posées sur le front sous une chevelure brune et épaisse. Elle semble vouloir d’emblée créer un lien avec les participants, faire se rapprocher les corps dont elle dira plus tard qu’ils « disent ce que la parole ne dit pas ».

D’apparence frêle, la plasticienne de formation courbe le dos au-dessus de mains qui, se font grattoir, mimant l’extraction d’une forme du matériau de l’écriture, en l’occurrence, une rencontre que chacun a pu faire, une de ces rencontres dont « on se dit après coup qu’elle a produit quelque chose d’onirique », dont « on se demande ce qui se serait passé » après. Le pitch mis en ligne l’annonçait : « C’est un regard, une écoute, une temporalité, uniques. Deux personnes échangent, se racontent, évoquent un lien, un secret, une histoire passée et ainsi partagent un fragment de leur vérité (…) Dans cet atelier, je propose à chacune et chacun d’arpenter cet événement qu’il soit ancré dans le réel, bricole ou imaginaire (…) ».

Gabriella rappellera aussi les mots de Lévinas : le visage est l’endroit le plus vulnérable du corps. La proposition est donc que chacun des participants produise au bout des cinq jours d’atelier un texte qui raconte une rencontre unique. Pour cela, Gabriella propose de « mélanger fiction et réalité vécue, puiser en soi, dans son expérience, y mêler des fantasmes, exploiter des rêves qui nourrissent la rencontre ».

Les lectures de fin de matinée vont dévoiler le thème choisi par chacun. Laisser reposer jusqu’à demain, conseille Gabriella. De fait, les participants dans leur quasi-totalité auront choisi de transcrire des expériences vécues, formatrices, étonnantes ou même tragiques. Alors, il faut prendre une respiration profonde, faire une sieste, ou au contraire du canoë, du vélo, randonner, l’environnement s’y prête.

La reprise de l’atelier le lendemain doit permettre à chacun de préciser son objectif. Gabrielle conçoit la construction d’un texte comme un arc qui se tend et doit viser juste. Il faut être précis, conseille Gabriella, produire un premier jet sur un brouillon mais ensuite dépasser les habitudes d’écriture, aller au-delà du territoire connu, se laisser emporter par le texte. Visualiser la rencontre, la lumière, dire comment cela a débuté, le moment de twist, comment on s’est dit bonjour, comment on s’est dit au revoir. Gabriella est à l’écoute. Une sinécure, un épuisement qu’animer ainsi un atelier où les participants mettent beaucoup d’eux-mêmes.

La troisième matinée permet en ouverture de faire le point, de se focaliser sur la mise au travail. Michel-Ange dégageait le sujet du marbre, le sujet était déjà là. En fait, les situations se dégagent et ensuite, on court après les personnages, et c’est assez déroutant, selon Gabriella. Il se met en place un jeu des différences qui raconte un moment d’oubli de soi. Avoir en tête une planche-contact. Les planches-contacts disent quelque chose de l’énergie qui circule, quelque chose de la mémoire même si cela reste un peu flou. A cet égard, Gabriella demandera le mardi de puiser pour le lendemain une trentaine de mots dans le texte d’un auteur ou la retransmission d’un podcast. Elle-même fournira une liste de mots qui ont pu l’aider dans sa mise au travail (elle travaille actuellement sur un troisième manuscrit sur le thème de la désobéissance). Willibald, le personnage-titre du livre de Gabriella paru à l’automne 2022 est aussi personnage de fiction, d’où le visage tissé sur photographie de la page de couverture.

Le quatrième jour est déjà le moment d’entamer la relecture. Enlever les couches pour dire ce qu’on a dans l’estomac, laisser les habitudes, c’est ce qui permet d’installer un lien avec le lecteur. C’est quoi le nerf qu’on voulait toucher dans le texte ? La thématique qu’on souhaitait aborder est-elle présente ? Voilà les questions que Gabriella invite à se poser. Dans le cas de Willibald, elle avoue que son écriture a nécessité trois ans. Après la recherche documentaire et l’écriture d’un premier manuscrit, elle a tout repris, n’a gardé que vingt pour cent du texte. Une amie auteure lui avait en effet fait observer qu’elle avait défriché un territoire sans prendre le risque de se questionner, même si elle n’avait pas de réponse.

Gabriella a admis avoir, dans l’excitation d’apprendre plein de choses sur le plan historique, écrit ce qu’elle pensait savoir plutôt que de s’interroger sur son intention profonde. Elle voulait écrire au départ un texte sur une peinture. La colonne vertébrale en était Le Sacrifice d’Abaraham, un tableau qui a accompagné son enfance. Dans la première version du texte, Willibald, n’était qu’une ombre portée sur l’histoire de la petite-fille pas la personnalité très forte qu’il est devenu dans le livre. Elle voulait parler de l’ombre du tableau sur la petite-fille de Willibald. Dans la version finale, la toile symbolise la manière dont Willibald a échappé au nazisme.

Le dernier jour donne lieu à la lecture des premières versions relues. Gabriella, s’est auparavant assise. On pressent son épuisement après plusieurs jours d’écoute, d’échanges, de travail sur son nouveau manuscrit l’après-midi ou la nuit, après la rencontre la veille au soir des autres auteurs invités. Elle a la tête dans les mains, cependant se lève plusieurs fois pour se rendre sur la terrasse où elle convoque chacun des participants à tour de rôle pour lui dire sa vérité, lui dire ce qu’elle le ou la sent donc avoir dans l’estomac et qu’il lui faut en sortir comme l’y incite son éditrice suisse des éditions Zoé, attendue le lendemain au festival pour justement parler au public de leurs relations de travail dans la durée.

Gabriella verra dans les productions des participants, tour à tour, des textes réussis : l’un, magnifique, qui va au bout, d’un tragique très tenu ; l’autre, d’une légèreté incroyable dont elle ne sait comment l’auteur, qu’elle voit sautiller d’une pierre à l’autre sur un grand fleuve, a pu l’écrire ; un troisième qui rend très bien compte d’une situation paradoxale, où on est dans le train avec le protagoniste qui s’interroge sur le chemin qu’il va prendre dans la vie ; un autre encore d’une incroyable énergie où le protagoniste comprend qu’il a vécu dans le passé avec la personne rencontrée ; un autre aussi d’une pudeur extrême qui accouche du début d’une histoire amoureuse enfouie ; une allégorie délicieuse d’autre part avec le récit d’une rencontre en avion entre une hôtesse de l’air et un inconnu ; ou encore u texte, amusant, qui parle de rencontres dans ce qui ressemble au village même de Saint-Léon.

L’écriture est expression d’une sensibilité, Gabriella Zalapi, la cinquantaine venue, est l’une de ses nouvelles prêtresses.

Un Commentaire

  • Marc BECRET dit :

    Bravo François pour ce préambule qui donne envie d’en savoir plus sur ces textes en chantier et qui invite à lire ou relire Gabriella Zalapi !

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