Artiste d’une trentaine d’années, Ségolène Cavelot part dans trois semaines pour une résidence d’un mois sur un bateau pris dans les glaces arctiques. Elle n’aime pas se pousser en avant, mais, pour son projet à l’enjeu non seulement artistique mais aussi écologique, elle a accepté de nous présenter son parcours, ce qu’elle veut faire et où elle veut aller.

1 L’école Boulle 2 La Mer et la Nature 3 Les Anges 4 Artistes en Arctique

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L’école Boulle

J’étais en classe de 4e dans un collège pas loin de Paris. Entre midi et deux, il y avait des ateliers : un jour cuisine, un jour couture, un autre menuiserie, un autre mosaïque. J’allais à tous. Quand je faisais des choses avec mes mains, je me sentais à la fois vivre très fort et être en paix avec moi-même. Mon professeur de technologie l’a remarqué. Il m’a dit que l’école Boulle, à Paris, pouvait m’intéresser. C’est un lycée technique et aussi une école supérieure d’arts appliqués.

Je suis allée voir, et en effet, ce que j’ai vu m’a intéressée. J’ai postulé et, finalement, j’ai été acceptée à la fin de ma 2nde alors que j’allais entrer en 1ère littéraire. J’ai refait une seconde et j’ai choisi le travail du bronze et des métaux, qui est parfois proche de la bijouterie. Après le baccalauréat, j’ai fait un diplôme Métiers d’Art, qui est comme un BTS, et, en sortant de l’école, j’ai aussitôt créé mon entreprise afin d’être le capitaine du navire : je me suis dit que, si je devenais salariée, je n’oserais plus jamais prendre mon indépendance, que je m’enfermerais dans un salaire, un loyer, un confort pour tout dire et que je n’aurais peut-être pas la force d’y renoncer. Et depuis dix ans, je réussis à vivre à ma manière!

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La Mer et la Nature

Mes passions ? Faire avec mes mains, donc, et puis il y a la mer, et les grandes étendues sauvages, en particulier celles de neige… Et encore sauver la planète mais pas tout seule ! (Rire) J’aime la mer. En 2018, j’ai fait deux stages qui m’ont beaucoup apporté. En effet, grâce à la fondation Belem, j’ai fait fait un stage de dix jours sur le Belem, un trois-mâts barque à coque d’acier qui date de 1896, puis grâce à l’association du père Jaouen, j’ai en fait un autre sur un trois-mâts goélette à coque de bois.

J’ai ainsi navigué le long des côtes bretonnes et au sud de l’Angleterre, et même sur l’Océan atlantique. Et dans les deux cas, je n’étais pas une passagère mais une apprentie matelot, un mousse qui grimpe dans les haubans et manœuvre les voiles, mais qui lave aussi le pont ! (Rire) Parce que je n’aime pas regarder les autres faire, ou bien que l’on fasse pour moi, je veux être dans le mouvement, faire moi-même.

 

J’aime particulièrement les grands espaces enneigés. Ce sont des bijoux grandeur Nature ! La neige, c’est de l’eau solidifiée, un minéral fragile qui jette des éclats précieux. Et la mer, voyez-vous, c’est un minéral liquide et animé dont la masse monte et descend comme une respiration. Fabriquer un bijou, à l’origine, pour moi, c’était prendre un fragment de notre mère la Terre, le sertir dans une monture qui est un lien : je fabriquais un lien matériel pour lier la pierre précieuse à un corps humain.

Ce corps en voyait sa beauté rehaussée mais, en même temps, il servait d’étal, de lieu d’exposition mobile à une beauté secrète de la Terre, puisque les pierres précieuses proviennent de ses entrailles. Au fond de mon goût pour la bijouterie, il y a un amour de la Terre, des matières qui la composent, des plantes qui s’y développent, des animaux et des humains qui la peuplent et qui la parcourent. Mais peu à peu se sont imposées à moi une idée et une crainte : nous, les hommes, nous étions en train d’épuiser les ressources de la Planète, et même par la surproduction de carbone, nous étions en train de rendre la Vie peu à peu impossible…

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Les Anges

J’en suis donc venue à la décision de contribuer, dans la mesure de mes moyens, au sauvetage de la Planète et de la Vie. Quand je le peux, j’utilise des matériaux que je recycle : certains de mes bijoux sont faits avec du plastique de bouteille et du zinc de gouttière, avec des cuirs de poissons d’abord utilisés dans l’alimentation afin d’éviter le gaspillage, avec des déchets, en somme, que je m’efforce de magnifier en leur faisant rencontrer des matériaux nobles. Je marie, par exemple, le zinc et le plastique avec le cristal de Swarovski. Maintenant, je regarde la bijouterie non seulement comme une célébration des beautés de la Terre mais aussi comme une réparation, et une manifestation de respect, presque de piété.

Mon entreprise, voyez-vous, je l’ai nommée la Tour des Anges. Je ne pratique aucune religion, et je ne crois pas que je crois en un dieu, mais j’aime cette idée que nous avons tous des Ange gardiens qui guettent et veillent sur nous. Et nous, les Humains, dans notre cœur, nous devons avoir une tour du haut de laquelle nous veillons sur la Terre : si tous ensemble nous veillons et guettons, nous pouvons encore la sauver.

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Artistes en Arctique

L’association des Amis du Manguier… le Manguier, c’est le nom d’un bateau, un ancien remorqueur racheté par Philippe Hercher, un passionné de mer et d’écologie, qui a ajouté des voiles à ce bateau afin d’en réduire l’empreinte carbone… cette association, donc, organise des résidences d’artistes sur le navire immobilisé par les glaces du Groenland. Je l’ai découvert par hasard sur un réseau social. C’est une association artistique.  Mais je défends aussi une cause écologique. Dans ce but, j’ai créé une association nommée Les Expéditions de la Tour des Anges qui m’aide à réaliser un projet réunissant l’art et l’éducation à l’écologie. Celui-ci consiste à entrer en contact avec des élèves de deux ou trois écoles de Dordogne, à partir avec des questions qui les intriguent, et une fois au Groenland, à trouver auprès des habitants les réponses à ces questions.

Le Manguier

C’est un projet qui m’a tout de suite plu parce qu’il touche à mes intérêts profonds, je dirai même plus exactement qu’il touche à la manière dont je m’intéresse à la vie. Et d’avoir été sélectionnée me stimule et me transporte de joie. Sur place, je vais tenir un journal de voyage et de création, je vais collecter des réponses et des déchets afin de les transformer en œuvres d’art et en bijoux à mon retour à l’atelier. J’imagine de faire des expositions dans lesquelles les visiteurs seront immergés dans un milieu qui reflètera la réalité arctique avec des œuvres de différents formats, de grandes pièces aussi bien que des objets que l’on pourra manipuler, des images rapportées de là-bas et des bandes sonores. Il faudra que je réfléchisse aussi aux lumières que je veux avoir dans ces expositions, voir si je peux faire écho aux lumières du Groenland… J’y pense beaucoup, j’en rêve même la nuit !

Crédit photo :

-Trois-mâts Bel-Espoir, association du père Jaouen : par Yann Caradec Flickr, CC BY-SA 2.0,

https://commons.wikimedia.org /w/index.php?curid=50978277

-Bijoux : La Tour des Anges.

-Autres : https://lemanguier.net/

3 Commentaires

  • Sophie Chambon dit :

    Formidable ce projet de vie et cette cohérence au travers d’actions et engagements qui tracent un fil assez continu ma foi….une (belle) ligne de vie pour une (si) jeune personne😍

    J’ avoue aimer beaucoup les objets et le design en général . S’entourer de formes et lignes fortes mais aussi gracieuses. Et J’aime le bijou qui orne la page de présentation…

    Sophie

  • L-A F-B dit :

    Intéressant et revigorant ! on attend des nouvelles, du projet, de Boulle, de l’artiste….

    • Pierre Hélène-Scande dit :

      Oui, la revue Fragile suivra les expositions que Ségolène Cavelot mettra sur pied à son retour.

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