Christine Groult compose de la musique électroacoustique. Elle s’est formée dans les années 1970 au GRM (Groupe de recherches musicales) alors dirigé par Pierre Schaeffer, au conservatoire expérimental de Pantin ainsi qu’au département de musicologie de la Sorbonne. Entre 1990 et 2015, elle a enseigné la composition électroacoustique au conservatoire de Pantin. Son œuvre compte une cinquantaine de pièces, destinées au concert, à la radio, à la danse, au théâtre, au cinéma, ainsi qu’à des expositions diverses.
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Comment a commencé cette œuvre, Christine Groult ?
J’ai reçu une proposition de résidence du Logelloù, un centre d’exploration et de création à Pévénan.situé dans les Côtes-d’Armor. J’y suis allée sans projet précis en tête, et l’idée des Eaux mêlées m’est venue au cours de promenades dans la nature faites entre Lannion et Paimpol. C’était au mois de janvier 2020. L’inspiration m’est venue en découvrant les paysages entre terre et mer qui caractérisent les côtes d’Armor. Il est impossible de distinguer avec netteté la limite entre les éléments solides et fluides. Les rochers, la mer, la rivière, l’estran, les herbues s’articulent entre eux, la mer entre dans les terres par les estuaires. Pour aider à la prise de conscience de ces milieux fragiles, j’ai choisi d’intervenir sur le site du Yaudet qui a comme épicentre le Léguer et son estuaire.
A vous entendre, la vase semble vous intéresser…
Tout à fait ! Dès qu’on entre dans le détail, quand on découvre de quoi est fait un élément et comment il réagit, quelle est en quelque sorte sa vie interne, cela devient passionnant. Mais pour cela, il faut se livrer à des recherches, lire des traités scientifiques. On découvre alors une physique fascinante et on se laisse emporter par les rêveries qu’elle suscite. La floculation de la vase par exemple est le rassemblement sous forme de petits flocons de particules en suspension : elles sont en agitation thermique avec l’eau salée, et elles forment des agrégats plus ou moins denses en fonction des turbulences de l’eau. Mais parfois les forces de cisaillement se révèlent plus puissantes que les forces de cohésion.
On peut alors faire des analogies, des correspondances avec la musique, les flocons devenant des sons construits, ciselés qui forment des grappes plus ou moins serrées. On peut encore se demander comment donner à l’auditeur la sensation de particules en suspension, qui s’agglomèrent, forment des amas lourds qui tombent au fond et se déposent en couches. Comment rendre musicalement l’énergie et la diversité des forces de cisaillement.
Je commence donc mon travail de création par des lectures documentaires au cours desquelles je m’instruis. Ces images matérielles sont très stimulantes et m’inspirent des matériaux et des processus sonores. Plus tard, il me faudra chercher comment les réaliser concrètement.
D’où viennent les sons que vous utilisez pour composer ?
La composition commence avec le choix et la fabrication des sons. C’est une grande partie du travail. Ils me viennent de multiples sources. Ils doivent résonner avec le projet et les associations qui se sont créées au cours de mes lectures. Je dresse des listes de mots, j’écris tout ce qui me passe par la tête. Je possède bien sûr une sonothèque que je me suis constituée au fil des ans et dans laquelle je puise lorsque je compose. Là j’y retrouve les sons qui me sont propres, qui ont à voir avec ce qu’il y a de plus intime.
Cette sonothèque, je l’enrichis en permanence en faisant de nouvelles captations sonores pour de nouvelles œuvres. Pour cette pièce, j’ai travaillé aussi sur le sable. Les matériaux granulaires comme le sable ont des propriétés qui se situent à mi-chemin entre celles des fluides et celles des solides. On peut classer les sables grâce à une granulométrie : galet, gravier, gravillon, sable, falun, limon, vase, boue. Ces catégories et ces indications me donnent des idées de corps sonores* à chercher et de gestes à effectuer avec. Le sable cache en lui tout un potentiel d’images qui guide le geste musical à faire : l’écrasement, l’émiettement de roches, la déchirure, le broyage, la résistance du quartz aux tribulations du temps. Il s’agit d’un geste instrumental où le détail des inflexions, des nuances, des élans forme un phrasé, c’est déjà une écriture.
*Corps sonore : objet avec lequel on produit un son. Toutes les sources sont permises et intéressantes. Le son d’un stradivarius n’est pas « mieux » qu’un son de robinet qui dégoutte. De plus les possibilités de grossissement du micro, révèlent un univers de vibrations infinitésimales inconnues de l’oreille quotidienne.
Pour cette œuvre, j’ai demandé à Noëlle Deffontaines, une danseuse qui a une extraordinaire dextérité des pieds, de remuer la vase avec ses pieds de manière à produire des sons et je les ai enregistrés avec un micro très sensible placé très près. J’ai aussi enregistré des sons avec un hydrophone, c’est un micro qui va sous l’eau. Enfin, des sons m’ont été donnés par Marc Namblard, un audio-naturaliste, qui permettent d’évoquer le lieu où se situe l’œuvre, la Bretagne. Ce sont des sons d’eau, de mer et d’oiseaux de mer.
Je tiens toutefois à préciser que les sons anecdotiques qui évoquent une réalité précise identifiable, comme des oiseaux, la mer, ne viennent pas forcément d’un enregistrement d’ambiance. Par exemple, certains des bruits d’oiseaux que j’utilise ici ont été produits par le saxophoniste Benjamin Dousteyssier. Ce choix s’est imposé en écoutant les cris rauques, éraillés des oiseaux marins qui m’ont fait penser au son nasillard du saxophone. Benjamin a produit des variations de cris avec le bec de son instrument. Je lui ai aussi demandé de produire tout une gamme de sons spongieux, qu’on entend quand on marche en botte sur le sol des zones humides.
Par ailleurs, j’avais enregistré pour la pièce précédente sur le thème de la forêt, des sons spongieux, en analogie aux sèves qui circulent dans l’arbre. J’avais acheté une grande variété d’éponges et j’avais glissé un micro-contact à l’intérieur de l’éponge qui au moment où elle se gonfle d’eau laisse entendre des sons très subtils de micro circulation. J’ai ainsi obtenu une palette de sons spongieux qui a trouvé sa place non pas dans la pièce sur la forêt mais dans Eaux mêlées.
Ce qui m’importe, c’est la sensation physique qui se dégage de l’objet sonore et non le réalisme de la source. Cela m’intéresse de travailler sur cette ambiguïté de l’écoute.
le rendu est très onirique et apaisant.
Merci de cette création.