Des nouvelles d’Afghanistan, et des Afghanes.

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Comme promis dans ma dernière publication sur Fragile, je reviens vers vous avec davantage d’infos à notre disposition.

L’intervention de Geneviève Couraud, ce samedi 27 novembre 2021 devant la Mairie de Marseille à l’occasion de la Manifestation contre les violences faites aux femmes, a fait le point sur ce que nous savons, par des contacts de l’intérieur via l’association Negar/Soutien aux femmes d’Afghanistan que je vous ai présentée dans l’article précédent.

Avec son autorisation, je publie la quasi totalité de son intervention ; et je vous invite, par solidarité avec le peuple et les femmes afghanes, à aller jusqu’à la fin d’une lecture bouleversante, et d’y trouver l’appel à chacune de nos consciences comme possible part active d’une opinion publique internationale.

Car récemment une jeune photographe afghane exfiltrée et exilée en Allemagne disait avec insistance, lors d’une rencontre à Marseille, que la conscience des peuples est le dernier espoir des femmes afghanes, face aux résultats de l’indifférence, du cynisme, et de l’incurie des démocraties.

S’il en est qui n’ont pas perdu leur temps pendant le covid, et avant, c’est les taliban avec leur travail de noyautage, de l’institution judiciaire entre autres, pour se présenter comme un moindre mal face à ce lâcher-prise. Voici ce qui se passe là où ils passent.

«  (…)
C’est dur de constater cette effroyable répétition d’une séquence de l’histoire que nous ne connaissons que trop, et d’assister à ce bégaiement, ce hoquet de l’histoire qu’est le retour des milices talibanes.
C’est encore plus dur pour les femmes qui sont en ce moment en Afghanistan.

« L’Afghanistan, dit Fawzia Koofi, ancienne vice-présidente du Parlement d’Afghanistan, est le pire pays où naître pour une fille.».

Voilà 3 mois, nous apprenions le 15 août que Kaboul, capitale de l’Afghanistan, était tombée entre les mains des milices fondamentalistes talibanes, après une campagne éclair dont chaque étape était suivie de violences, de meurtres et d’exactions envers la population afghane, et au 1er plan les femmes.
Dans toutes les villes, c’était le même scénario : pendaisons à l’entrée de la ville, ouverture des prisons et incorporation des prisonniers dans les troupes d’occupation, réclamation auprès des autorités de listes des filles de plus de 14 ans et de veuves de moins de 45 ans, qui seraient données non pas en mariage mais en salaire aux combattants.
(…)

Bientôt, début septembre, c’était le Panjshir, la région du nord, base historique des moudjahidines du commandant Massoud qui tombait sous la pluie de bombes des hélicoptères et des drônes pakistanais, venus en renfort des taliban. Morts, paysans et villageois chassés de leurs maisons, exode vers des camps de fortune.

Cependant les fonds de la banque centrale étaient gelés, mettant les taliban dans l’obligation d’offrir au monde une image présentable. Et voilà que l’on parlait de taliban 0, de taliban modérés, de gouvernement « inclusif »…Mensonges, mêmes rengaines que celles entendues dans les années 90 lors des « années de plomb ».

Aujourd’hui, où en est-on ?

Les femmes ne peuvent plus travailler, elles sont terrées chez elles, avec leurs enfants.
Les petites filles ne peuvent plus aller à l’école, ni les jeunes filles au lycée.
Les écoles et lycées ont été dévastés. Ceux que notre association NEGAR a construits ont été squattés et sont devenus des centres de formation pour les taliban. Les images que nous avons reçues de notre lycée de filles de *** montrent des bibliothèques saccagées, des livres déchirés, des meubles fracassés, des toilettes vandalisées.

En 3 mois les taliban ont montré leur vrai visage. Ils ont supprimé tout ce qui soutenait les droits des femmes :
Le ministère des droits des femmes est supprimé.
Pire le sinistre ministère de la répression du vice et de la promotion de la vertu, chargé de surveiller l’application de la loi islamique, est de retour, et s’est installé dans les locaux du ministère des droits des femmes. Sinistre ironie !
Les feuilletons télévisés montrant des femmes sont interdits.
Les femmes journalistes doivent porter le voile islamique à l’écran. Et d’ailleurs elles ont disparu des écrans.
Les femmes travaillant dans les services publics sont toujours écartées de leurs postes.

La suppression de la Constitution de 2004 est à l’ordre du jour, cette constitution pour laquelle les Afghanes se sont tellement battues, en particulier pour y faire entrer le fameux article 22 du Chapitre II qui dit : « Les citoyens afghans hommes et femmes ont des droits et des devoirs égaux au regard de la Loi. »

Or, depuis 20 ans, les femmes afghanes qui sont, ne vous y trompez pas, aussi féministes que nous, avaient considérablement avancé dans leur autonomie et profité de leurs droits, de tous leurs droits. Elles étaient devenues médecins, magistrates, ingénieures, journalistes, artistes, elles avaient aussi trouvé leur place dans l’armée, la gendarmerie, la police, elles pilotaient des avions…Le secteur des médias avait explosé, des dizaines de station de radios et chaînes s’étaient créées et elles y avaient toute leur place !
Voici les chiffres de l’année dernière : 3,5 millions de filles scolarisées, 100 000 femmes dans les universités publiques et privées, 1 millier devenues cheffes d’entreprise, 500 femmes juges et procureures, 12 000 femmes dans la police, l’armée.

Tout cet élan interrompu ! C’est cette génération formidable que les talibans désignaient il y a deux jours par l’expression de « génération perdue ».

A l’arrivée des taliban, les femmes ont tout de suite compris ce qu’elles avaient à perdre, et combien cela serait effroyable. Car les taliban qui ne forment pas un groupe homogène ont en commun, et aussi avec Daech, la haine des femmes. Les femmes doivent être maintenues dans la dépendance et l’humiliation.
Et à cet égard, la religion extrémiste qu’ils professent n’est qu’un outil d’un asservissement du peuple, qui commence par les femmes. Asservir les femmes, les invisibiliser, les sortir de la société les cantonner à la reproduction et au service sexuel, c’est asservir la population afghane tout entière et la conduire à la soumission, à l’obscurantisme. Et c’est bien le projet à l’œuvre.

Les Afghanes malgré la peur, malgré les risques, manifestent dans les rues, sous la surveillance armée des taliban. Elles nous parlent et nous disent sur leurs pancartes : «Notre parole est notre arme ». « Pas de reconnaissance des taliban. »
Les jeunes filles du lycée Rabia Balkhi qui manifestaient en octobre devant leur lycée, tremblantes de peur devant les menaces des taliban disaient ainsi sur leurs pancartes : « Ne brisez pas nos stylos, ne brûlez pas nos livres, ne fermez pas nos écoles. » Ou encore «L’école est l’identité humaine. » Ecoutons-les, entendons-les. Ecoutons leur courage qui est celui du désespoir.

Les pires nouvelles nous arrivent ces derniers jours :

Ce sont 4 jeunes femmes activistes dont une amie féministe Frozan SANFI, trompées par des propositions d’évacuation vers les EU, qui sont tombées dans un guet-apens et ont été assassinées aux portes de la ville de Mazar-i-Sharif. Leurs corps méconnaissables.
Ce sont des manifestantes, à Kaboul, qui se sont retrouvées encerclées par des taliban au lieu de rendez-vous de la manifestation pourtant tenu secret, et qui ont reçu des menaces : « Nous allons vous tuer ainsi que vos familles ». Des taliban ont infiltré leur réseau malgré les précautions. Sans doute des ami.es militant.es arrêté.es, torturé.es en prison, contraintes de dénoncer leurs camarades.
80 personnes ont été emprisonnées à Mazar, et on sait les passages à tabac et la torture par électrochoc. La société civile est en train d’être étouffée.

Maintenant la faim s’installe, des millions d’enfants – 3,2 millions d’enfants de moins de 5 ans – vont avoir faim.
Des petites filles sont vendues en mariage pour une dot par leurs parents criblés de dettes et qui n’ont plus de quoi manger.
La neige – le fameux général hiver – est arrivée. Le manteau blanc recouvre les montagnes et Kaboul. Comment vont-elles supporter la faim, le froid et l’horreur ?

Alors, non, tout n’est pas perdu. La résistance s’organise. Cette jeune génération aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Afghanistan qui est éduquée, sait communiquer, veut résister et arracher son pays aux griffes des milices talibanes fondamentalistes.

Aidons-les, disons-leur notre solidarité. (…) Ensemble, nous allons continuer à nous battre pour les femmes et la société afghanes.
Parmi tous les messages, celui qui me revient aujourd’hui est :
« Continuez vos combats ! Quand vous avancez, vous avancez pour nous ! »
Et aussi ce mot : « Ne nous oubliez pas ! »

Non aujourd’hui, comme il y a 20 ans, n’oublions pas les femmes afghanes. En luttant contre l’obscurantisme, les femmes afghanes luttent pour nous-mêmes et nos filles !

Pour NEGAR, 3 objectifs de lutte sont essentiels :

      • Non, à la reconnaissance du régime des milices talibanes,
      • Retour de l’aide humanitaire européenne,
      • Accueil digne des réfugié.es

………………………………………………………………………………………………….TASHAKHOR. Merci.

Laure-Anne Fillias-Bensussan

Laure-Anne Fillias-Bensussan

Déracinée-enracinée à Marseille, Europe, j'ai un parcours très-très-académique puis très-très-expérimental en linguistique, stylistique, langues anciennes, théâtre, chant, analyse des arts plastiques, et écriture. Sévèrement atteinte de dilettantisme depuis longtemps, j'espère, loin de l'exposition de l'unanimisme des groupes de réseaux, continuer à explorer longtemps la vie réelle et la langue, les langues. Reste que je suis constante dans le désir de partager, écouter, transmettre un peu de l'humain incarné au monde par l'écriture ; la mienne, je ne la veux ni arme militante, ni exercice de consolation, mais mise en évidence de fratersororité. J'ai publié deux recueils de poèmes, écrit une adaptation théâtrale, participé à la rédaction de nombreux Cahiers de l'Artothèque Antonin Artaud pour des monographies d'artistes contemporains ; je collabore aussi avec la revue d'écritures Filigranes. - En cours : deux projets de recueils de courtes fictions, et d'un recueil de poèmes.

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