Cette série est et sera composée de courts croquis de poètes venus faire des lectures à Marseille. Les textes seront ajoutés au fur et à mesure, à une fréquence tout à fait irrégulière ; ils n’ont d’autre but que celui de garder une trace de ces moments de poésie et des émotions et questionnements qu’ils ont suscités. L’auteur se réserve le droit de publier les textes dans un (dés)ordre chronologique différent de celui des lectures auxquels ils correspondent, de les laisser sous la forme de simples notes déconstruites et fragmentaires et même de ne pas finir ses phrases dans l’éventualité où

 

Liliane Giraudon et Nathalie Quintane à l’Histoire de l’oeil, deux monstres (monstresses) sacré(e)s, on est le vingt-trois septembre, on ne raterait ça pour rien au monde. On s’entasse au fond du jardin et on sort les quarante-huit mégapixels d’iPhone dix-neuf pour compter les poils de nez de Lil.Nat une fois chez soi : on mettra la photo pile devant leurs livres pour être sûrs qu’ils ne bougeront plus de leur place aussi sacrée que leurs autrices.

Bref, ce soir c’est le show, même le chat local le sait du haut de son muret et a tant de mal à retenir son excitation qu’à deux reprises il manque de tomber sur la tête de Lil.Nat (fous rires dans l’assemblée). On lit (un peu), on discute (beaucoup), autant dire que ce soir tout se passe bien jusqu’au moment où tout cesse de bien se passer : cinquante-troisième minute, coup de théâtre.

Lil.Nat, la première avant la deuxième, se demandent soudain pourquoi elles sont là à faire du « merchandising », le « service après-vente de la littérature ». Pourquoi est-ce que les gens ne peuvent pas lire les livres de poésie de la manière dont les livres de poésie doivent être lus, c’est-à-dire seul, dans une chambre, en silence ; pourquoi fait-on des poètes des animaux de festivals, est-ce que c’est possible d’être poète en fermant sa gueule, ce n’est visiblement pas l’avis d’une jeune femme qui interrompt Lil.Nat (frisson général) et leur dit qu’elle pensait entendre de la poésie « vivante » (sic) et non deux « connasses » – je cite les concernées – se plaindre de leurs vies d’écrivaines reconnues ; Lil.Nat la renvoient dans ses foyers mais la tension est palpable. Là-dessus la séance est levée.

[Hypothèse n°1 : la littérature est considérée comme morte, elle n’a d’ailleurs pas intégré cette curieuse catégorie qu’est celle des arts « vivants » : l’objet-livre aurait quelque chose d’archivistique, de patrimonial par nature, il se trouverait inévitablement dans un état de léthargie face auquel la lecture à voix haute serait une bouée de sauvetage, surtout si on inscrit les lectures dans des modèles événementiels effectifs (entendre : les festivals). Pour autant, on n’est pas chez les saltimbanques du théâtre : on ne mélange pas les torchons et les serviettes, alors il faut que ce soient les auteurs qui lisent leurs propres textes, qu’ils soient bons ou mauvais orateurs (la première éventualité étant plus rare que la seconde). D’autres hypothèses, Lil.Nat ?]

Stéphane Lambion

Stéphane Lambion

Stéphane Lambion écrit des textes de poésie et en traduit ; il est également chercheur.

Voir tous ses articles

6 Commentaires

  • Camille Sova dit :

    L’hypothèse finale me laisse songeuse… la vitalité de la littérature (et plus particulièrement de la poésie) aujourd’hui ne tient-elle plus qu’à sa capacité à s’adapter aux impératifs des arts vivants (qui ne sont aucunement l’inverse de « l’art mort » ou livresque) ou, pire, comme s’en agace(nt) « Lil.Nat », aux impératifs d’une société du spectacle où le poète est une bête que l’on vient regarder de près, sorte de mammifère amélioré, vache échappée du salon de l’agri(ppe-)culture ?
    Intéressante retranscription en tout cas, hâte de lire la suite !

    • Je ne pense pas que l’explication soit si nette et radicale, au point d’affirmer que la vitalité de la poésie contemporaine repose exclusivement sur les conditions d’existence imposées par les arts vivants et par une société du spectacle. Disons plutôt que cette vitalité repose en grande partie dessus – ce qui est d’ailleurs tout à fait compréhensible, vu que c’est pour elle un moyen de (tenter de) rééquilibrer le rapport production/consommation (ou création/réception, pour le formuler dans des termes plus heureux). Avec les festivals, les lectures, les marchés, la poésie essaye tant bien que mal de sortir du circuit fermé poètes/éditeurs… même si le public de ces événements est majoritairement composé de poètes et d’éditeurs.

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Lil-Nat s’interrogent sur la lecture de la poésie devant public. Quelles réponses personnelles apportent-elles ? Je veux dire : pourquoi acceptent-elles d’en lire devant les gens ?

    • Sans doute parce qu’il y a aussi de bons côtés à la lecture publique, tout de même, et parce qu’il faut bien vivre… mais c’est directement aux intéressées qu’il faudrait poser la question !

  • Ariane Beth dit :

    En effet, c’est la question, je trouve.

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Lil-Nat ne répondent donc pas à la question qu’elles posent…
    Paresse ? ( Ce serait trop long à expliquer.)
    Pédagogie ? (Nous sommes des questionneuses, des éveilleuses, au public de trouver !)
    Modestie ? (Notre réponse serait sans intérêt.)
    Tactique ? (Répondre serait risquer la réplique, la critique.)
    Esthétique ? (Celle du suspens, de la réticence…)

Laisser un Commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.