Iren Mihaylova ou la métamorphose
Depuis ma chère disparition nous indique que la voix (droite ?) est perdue. Nous resterait-il que la place du mort, celle d’où l’on voit défiler la poésie en train de réécrire le réel bien qu’il y ait chez tout un chacun un profond désir de ne pas voir le réel qui fait voir l’image, fût-elle poétique ? Somme toute, écrire ne serait rien d’autre que la déploration plus ou moins émouvante de la perte au profit d’un chemin menant nulle part, c’est-à-dire là où l’on pourrait saisir, pour esquisser son horizon natal ? Dit autrement, c’est vouloir renaître dans l’ombre du soleil noir retenue dans la prison du luth constellé, p.12. Car Iren cite Nerval, mélancolie pour mélancolie.
Marsile Ficin regardait le luth comme le microcosme humain, ceci dit d’après son traducteur Guy Le Fèvre de La Broderie qui l’écrit en 1581 dans sa préface, en prévenant de ne pas se prendre les pieds dans (l’image dans) le tapis : « Du cerveau humain procèdent les nerfs en sept accouplements, qui sont comme les tuyaux et organes du sentiment… etc. Car tout ainsi qu’en vostre luth, ajoute-t-il, si les chordes et les nerfs ne sont deument accordées par ensemble, il provient une dissonance et une discorde qui ont conduit les poètes de feindre dans leurs fables un même dieu présider à la musique et à la médecine. » Pas de ça chez Iren, sa musique nullement malade chante depuis sa cellule l’image du temps à retrouver pour sortir de la nuit des temples oubliés. Certes, mais par quel chemin ? Par celui qui conduit à mener l’écriture par le bout de l’ombrier, cette petite lueur (à partir des profondeurs de la nuit… une lanterne, écrit-elle p.20) qu’il faut entendre et métamorphoser en ombre-brillée. Métamorphose ! Voici le mot clef qui ouvre les chaînes (p.14) pour devenir des chênes, des feuilles, des mots sur des feuilles. Ces mots qui se souviennent de leur pourquoi et qui se préparent en même temps à leur mort donc à leur résurrection parmi les arbres cajolés, p.24… La chenille y mute papillon dans un déchirement pulmonaire (mes poumons de papillon, p.19), c’est-à-dire dans un souffle, le fameux pneuma des Anciens, ce véhicule du logos dans la structuration de la matière, tant chez les animaux que dans le monde physique. Le cafard se voit ailé, Iren est l’anti-Gregor, le ver se souvient qu’il pourrait être luisant comme le guide céleste, Virgile (ver gile : ver luisant) et devient vers blanc pour l’envol, prêt à renaître du vide anagrammatique (le vide voit ce qu’il est censé contenir, p.18). Et que contient-elle cette anagramme du VIDE prise dans sa langue paternelle, p.28 ? DIEV ! Une bouche béante de la nuit, assise de ce côté de la métamorphose, p.36. Sous des ciels « constailés ».
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Depuis ma chère disparition, Iren Mihaylova, L’Echappée belle, collection Ouvre-boîtes, éditrice Florence Issac, 2025.
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(Photo, pexels, Francesco Ungaro)