Il était venu du fin fond de l’Afrique pour trouver une vie meilleure. Il avait marché pendant des heures, pris des bus, des avions, des taxis-brousse. Il avait jeté un dernier regard sur la parcelle où vivaient son frère et ses sœurs, debout dans la cour, les pieds dans la boue collante et rouge de son pays natal. Pendant des mois, il avait mûri son projet, hésitant entre sa réalité et son rêve. Qu’allait-il faire de sa réalité ? Une famille étendue, frères, sœurs, cousins, cousines à aider, à nourrir, lui qui n’avait même pas de quoi acheter une maison et fonder son propre foyer. Des petits sous, comme il disait, c’est tout ce qu’il pouvait gagner dans son travail. Dans son pays. Sur la terre qui l’a vu naître. Et où il espérait pouvoir mourir.
Mes pieds collés
Dans la boue de mon pays
Partir ? Partir ?
Il avait décidé de poursuivre son rêve, aussi irréel et lointain qu’il paraisse. Il était né avec des mots dans la bouche, des mots lingala, des mots kikongo, des mots français. Les mots français fondaient sur ses lèvres, comme des bonbons doux et pleins de miel. Des bonbons de sucre. Il voulait encore plus de sucre, plus de mots, plus de délicieuses gourmandises. Il voulait de l’amour, une belle femme, des beaux enfants…Mais où ? Ici ou là-bas ? Partir ou rester ? Un jour, il a fermé la porte branlante de sa chambre et il a suivi son cousin dans l’aventure déchirante et dangereuse de l’exil. Une seule valise il pouvait emporter. Une valise où il mit son plus beau costume du royaume de la sape, ses bijoux en faux or, et surtout ses papiers, le peu de papiers que le Roi des Belges lui avait permis de posséder.
Papiers volants
Papiers volés
Des confettis sur mes costumes
De Kinshasa à Barcelone, ce fut des années d’errance toujours plus au Nord. Quand la nostalgie était trop douloureuse, il ouvrait sa valise, sortait son costume et ses bijoux en plaqué or et se regardait dans le miroir tremblant de quelque fleuve africain. Il redevenait un membre éminent de la SAPE, la Société des Ambiancieurs et des Personnes Elégantes. Il avait pour l’accompagner un carnet et un crayon où il alignait ses mots, ses poèmes…et dans la tête, des centaines de musiques du Tout Puissant OK Jazz, des rumbas congolaises qui lui faisaient rouler des hanches.
Rondeurs des hanches
Bateaux qui roulent
Pareils au fleuve puissant
L’ami congolais, qui était retourné au Congo, a quitté ce monde. Saluons-le.
Merci pour lui, donc, pour ce bel hommage, de mots, de musique, et de terre rouge.
Très beau ton texte bipartite et quelle fulgurance une fois encore dans ces haïkus…
Belles images croisées de belles pensées, un voyage rafraîchissant.
Je n’avais pas lu ce texte. Tu as bien fait revivre Jack.