La réunion, pour Anna Ayanoglou : moment haï de ses jobs alimentaires.
Mais passage obligé, de nos jours, pour un nombre gigantesque de travailleurs et de travailleuses, quelle que soit leur profession.
Utilisant l’espace du poème, Anna Ayanoglou tente de comprendre ce que la réunion produit en elle, et pour quelle raison ce moment contraint la (nous ?) « supplicie autant ».
La réunion
Première strate : constat
L’âme prend le corps en porte-voix
— en retour de lui se fait porte-voix
et hurlent ensemble le trop-plein — à qui le disent —
combien je suis ? je compte les parties
— cette nuit au lit toutes les douleurs
dedans mon corps ondulent
— pas des coraux dans le courant, non
— comme dans le Cri de Munch
une foule antagoniste s’égosille
les muscles les nerfs les articulations
rivalisant agrippent ma conscience — je sens
dans la fesse gauche un pic saille — les mollets
de fatigue enflés comme si couru un marathon
mais rien couru un peu marché — je sens
le nerf depuis le tréfonds de ma fesse
jusqu’aux petit et gros orteil un autre de l’épaule
au pouce — voilà que la douleur
me palme — elle brillerait j’irais dehors et la montrant
dirais voyez : Constellation de la souffrance.
Deuxième strate : réalisation
La kiné : Vous avez fait un faux mouvement ?
Vous avez porté quelque chose de lourd ?
Moi : Non. J’ai juste assisté à une réunion.
Pendant quatre heures.
Je saisis : l’expérience unique
ne cause pas à elle seule l’intensité du mal
— toutes
les similaires s’additionnent — des coups portés
régulièrement précisément au même endroit
Un certain temps, j’ai réussi à m’extraire
Les événements — appelons ainsi les obligations —
ont épargné l’endroit battu
Son hyperesthésie
m’est sortie de l’esprit
En prenant place dans cette salle, de mon gré
fait d’oubli et de naïveté (les réunions
ne changent pas de nature quand le domaine change)
j’ai soumis l’endroit même
au croisement du caractère et de l’épreuve
à de nouvelles brutalités.
Troisième strate : exploration
Mais qu’est-ce qui supplicie, exactement ?
Et pour quelle raison me supplicie autant ?
Contrairement à L’empalement ou L’écraseur
de tête — dénominations univoques — la réunion
ne laisse, par son nom, rien deviner de sa nature
— de ses séquelles
Ainsi faut-il :
– Chercher derrière l’écran du terme
– Faire apparaître, dans le révélateur, mes traits
—— tentative :
La réunion est le lieu
Des monologues superposés
Des redites et des dissonances
Et j’ai pour traits particuliers
Un attachement déraisonnable à la justesse
Une mémoire comme la pédale forte
du piano — qui conserve — surimpressionne
La réunion est le lieu
Du mirage créé par les chefs, qui la vendent
comme décisive quand elle n’est que cosmétique
Du mirage pris pour tangible par les souffrants
qui vomissent leur doléances dans le néant
Et j’ai pour traits particuliers
Le flair et l’écœurement du faux
Une empathie dérégulée
La réunion est le lieu
Du recours au langage évidé
Du figement de la pensée
Du temps sacrifié dans des nappages de vide
Et j’ai pour trait particulier
Une nécessité vitale de sens
Ah oui, ça parle vraiment, et en plus c’est drôle. Et surtout ça dit très bien comment ces choses vides, vaines, stupides arrivent à bousculer tout le corps en prenant la tête avec du rien … Beau travail (à partir de notes prises en réunion ?)