Le Matin des Pierres, Guillaume Dreidemie (éd. La Rumeur libre, 2023) – Entretien avec Daniel Kay
- Quel sens donnez-vous à votre titre ?
Le Matin des Pierres, c’est la lueur de l’aube sur un sentier, l’énergie créatrice vivifiant un monde minéral. Le feu jaillissant pour redonner vie à l’espace morne. La poésie est ce feu, ce souffle igné, tel le pneuma des stoïciens.
- Peut-on dire que vous pratiquez une esthétique de la brièveté ?
J’aime lorsque c’est épuré, mais je ne cherche pas forcément à être bref. Aller à l’essentiel. Jeter. C’est une exigence vis-à-vis de soi- même, et une tentative de rester humble : tant de choses ont été dites ! Mais nous ne venons pas trop tard, si ? Malgré La Bruyère… Il y a encore tant de choses, un émerveillement possible ! Il faut poétiser à coups de marteaux. Tailler, ciseler, à la lueur des pierres.
- Quelle place accordez-vous au lecteur ?
La place d’un ami. J’ai toujours en tête la phrase de Gœthe, en prologue à son roman Werther : « Lecteur, je te donne ce livre, si tu n’as pas eu un ami plus proche de toi. »
- Pensez-vous que dans votre pratique de la poésie il y a quelque chose qui serait de l’ordre de la sagesse ?
Pas de leçon, mais une sagesse. Une sagesse païenne. Je crois profondément à l’éternel retour, dans son sens pythagoricien, stoïcien puis nietzschéen. J’aime Nerval, ce vers avant tout : « Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours ! » Ce que nous croyons perdu, reviendra ! La poésie a la force de nous faire vivre, et revivre, infiniment !
Merci pour cet entretien fort parlant dans sa brièveté.
Ce qui me retient le plus : jeter tout ce qui doit l’être pour que le texte soit, dans son authenticité, selon la métaphore nietzschéenne en effet du marteau (qui cisèle et non qui « fait tout péter » comme le pensent les bourrins), c’est à cultiver pas seulement en poésie. Mais certes ce n’est pas facile, dis-je par expérience. En fait il me semble que garder, ne pas savoir/pouvoir jeter, n’est pas signe qu’on est sûr que c’est bien, qu’on est content de soi, ce serait plutôt le contraire. C’est ne pas se faire assez confiance pour se dire : c’est pas tout à fait ça, alors je laisse, je trouverai autre chose.
C’est aussi, et c’est plus grave, ne pas faire confiance au lecteur pour entendre à demi-mot.
Jeter. Il y a cette phrase que j’aime « Dans ce tiroir traînent de vieux papiers, que j’aurais jeté depuis longtemps, si j’avais une corbeille à papiers ». (Journal de Franz Kafka)
La confiance au lecteur en effet est le verso de ce qu’on lui doit de rigueur généreuse… une belle aventure…amicale, oui!