– le livre serrait quelque chose dans son ventre, qu’il ne savait situer. une nostalgie d’avant la lumière, ou des années qui viendraient. il y avait dans les pages cet amour des montagnes, des eaux du Nord, de la plus fine existence dont il avait su un peu parler dans ses propres livres, mais qu’il n’avait touché, s’il l’avait touché un jour, que du bout des doigts. les mots contenaient ici la force du marcher droit, seul ou seule, et la chaleur qu’il y a dans disparaître. et tout cela le prenait, l’appelait. et pourtant le voilà, dans la ville, qui prenait toute la place, à rire fort, à faire des visages quand elle, celle qui avait écrit le livre, faisait tomber les masques dans la neige, refusait semblait-il de prendre place, de se tenir, arguant du rêve d’être de partout et à tous insaisissable. il y avait dans ces mots une vérité qu’il sentait poindre depuis toujours. les forêts éparses de chez lui empêchaient, croyait-il, de connaître cet état de disparition. mais le livre avait parlé si vrai qu’il se reconnaissait menteur, finalement, grégaire et lâche. il n’y a pas de taille au rêve de s’échapper. un pas dehors, seulement, et la vie s’offre. et les autres se perdent à tenter de comprendre, et l’on sourit, peut-être revient, se tait. oui, surtout se peignait là la douceur de se taire.-

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– jamais il n’aurait pensé pouvoir s’y attacher. mais il était rendu à cet instant de séparation qui n’était pas d’évidence. le réservoir ne tenait plus. les temps de la route été passés. celui de détacher les pièces, venu. il repensait à ce qu’il avait traversé, les chemins, le bitume, les maisons successives, la ville, les collines, le maïs, enfin le village. elle avait suivi, parcouru, emporté. elle était sale, sans doute sentait mauvais mais lui n’avait plus de nez pour elle. il n’avait que de la tendresse et était-ce possible, véritablement ? lui qui reniait toute attache aux choses, ou le tentait, qui surtout mettait à distance la mécanique et l’huile, la fausse parade des véhicules luisants et signes extérieurs des plus grandes bassesses. mais le fait était là. bleu. avec un léger enfoncement dans le capot. et lui, un léger pincement du côté du sourire. il fallait vendre sa vieille voiture.-

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© photo, Luc, Pexels 2022

Maxence Amiel

Maxence Amiel

Né en Normandie, Maxence Amiel a suivi des études de lettres modernes et de théâtrologie. Un temps libraire, il partage aujourd'hui son activité entre l'écriture et un emploi d’assistant d'édition. Il a publié un roman en 2019, Aux vibrants (éditions du Vistemboir) et trois recueils de poésie aux éditions de La Crypte. Son quatrième recueil, Par la fenêtre tardive, paraîtra en septembre 2023 aux éditions Aux Cailloux des Chemins (Bordeaux).

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    Un Commentaire

    • Laure-Anne dit :

      Traces de ce qui importe….Rien de ce qui donne un tant soit peu à vivre n’est futile, et le poème lui fait justice.

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