L’Education géographique

(2022, Flammarion)

par Pierre Vinclair, poète et essayiste.

.

.

..

.

..

 

 

 

 

 

.

.

.

.

 

 

 

 

 

.

.

 

 

 

 

 

!

.

.

1 Un projet ambitieux : une tétralogie poétique (4 fois 25 poèmes), intitulée L’Éducation géographique.

Seul le premier volume (le livre des lieux) est intitulé L’Éducation géographique. Le deuxième (le livre des personnes), que je suis en train de finir, devrait s’appeler Œuvres liquides. La tétralogie a pour titre Encadrements.

Comment en êtes-vous arrivé à une tétralogie, Pierre ? Pourquoi cent poèmes plutôt que cent un? Cent comme clôture ?

Au début je voulais en faire 24, qui est le signe d’une certaine clôture en effet : le nombre de chants dans l’épopée classique. Puis je suis arrivé à 100, qui me plait davantage car je le trouve plus bêtement conventionnel. Plus artificiel, plus contingent. Tout le travail de composition consistant à retourner un accident en essence, et l’arbitraire en nécessité. Qui plus est, 24 chants, j’avais imaginé une organisation en 12 chants pour le premier volume, puis 6, puis 4, puis 2, et en finissant L’Éducation géographique j’ai rencontré deux problèmes :d’abord je me suis rendu compte que mon nombre 12 était artificiel, en réalité il y avait plutôt 18 chants et j’en avais regroupé artificiellement plusieurs pour tenir dans 12. D’autre part j’ai eu très peur du dernier volume en seulement deux chants ; seulement 2 chants pour un volume entier ? Comment faire ? Alors j’ai choisi 100, avec un principe en 25×4. Cela a beaucoup d’avantages : 25 c’est 24 plus 1, donc on garde la référence à l’épopée en ajoutant un petit « +1 » ironique et même comique (moi je le trouve comique !) ; 25 ça me laisse la place de faire beaucoup de chants, et 100 m’a permis de choisir ce titre «Encadrements » qui dit l’importance de la forme (qui fait de la page un cadre pour le tableau du poème) en même temps qu’elle offre l’anagramme « En cent drames ».

Pourquoi ce titre ? Que devrait y entendre le lecteur? (Que vous emmenez vos enfants en voyage pour faire leur éducation ? Que vous continuez à vous éduquer vous-même en les éduquant ? Que vous voulez éduquer sans en avoir l’air votre lecteur ?) Pourquoi s’éduquer aujourd’hui à la géographie plutôt qu’à la géopolitique?

Ce premier volume est un livre des lieux. Il s’agit de repartir du plus trivial : ce qu’il y a ici, autour de moi, maintenant, et d’essayer d’élever cette pauvre matière à la dignité d’une célébration. Cette « élévation » est une éducation, on pourrait dire une éducation sceptique et matérialiste. Quand on ne croit pas aux morales instituées on peut encore regarder les lieux et en prendre de la graine. En même temps L’Éducation géographique est bien sûr aussi un clin d’œil à Flaubert. Mais là aussi, avec un petit déplacement ironique, car dans « l’éducation sentimentale » il faut entendre « l’éducation des sentiments », ce n’est pas l’éducation elle-même qui est sentimentale. Dans mon titre en revanche, si : la géographie n’est pas l’objet de l’éducation, mais son mode.

2 Un rapport à la culture.

Vous mettez en scène et réfléchissez à la manière d’un miroir moqueur notre rapport à la culture classique, scolaire, de masse (le tourisme) et en même temps vous mettez en pratique (avec un sérieux souvent distancié) cette même culture, par exemple, par votre réflexion sur l’écriture poétique ainsi que sur l’œuvre que vous êtes en train d’écrire.

Il y a la culture en fusion, celle du volcan en train de cracher, et la culture durcie, refroidie, de la lave devenue roche. L’écriture est de la culture en fusion, les « œuvres » que l’on trouve dans les musées ou les manuels scolaires de la culture froide.

Votre tétralogie se présentera-t-elle, par un côté, comme une réflexion critique et théorique-pratique sur la culture? Et si oui, pourquoi ? pour quoi ?

Non, je ne dirais pas ça. C’est simplement une tentative d’être encore vivant, c’est-à-dire produire du sens en fusion. Ne pas se contenter de contempler la lave refroidie des millénaires de cultures, en opinant du chef devant les soi-disant chef-d’œuvres, mais comprendre qu’ils répondaient eux aussi à une urgence vitale, celle de trouver une forme dans le chaos et produire une figure du sens de la vie, donc essayer (avec mes moyens modestes) de s’élever à cette dignité en recommençant moi aussi, en essayant de reprendre ce travail de désignation du sens de la vie, ce travail de culture en fusion.

Il me semble, Pierre, mais c’est peut-être sottise de ma part, que vous êtes gêné dans votre rapport à la culture par la crainte de passer pour quelqu’un qui se prend au sérieux (d’où l’usage d’une certaine dérision) et qu’il y a chez vous une volonté de modestie, laquelle me semble contrebattue par une virtuosité formelle éclatante tout aussi volontaire.

Je ne crois pas que ce soit vraiment l’enjeu, de paraître ceci ou cela. Je crois que c’est le projet de cette tétralogie qui implique la plus grande humilité et la plus grande ambition en même temps. La plus grande humilité, parce qu’il s’agit simplement d’essayer de comprendre, de nommer et de mettre en forme ce qui compte, pour un type quelconque, là où il est, à un moment ; en ce sens, c’est une conception naïve de la littérature et même très pauvre (si on la compare à toutes les conceptions grandioses qu’on trouve, de Hugo à Blanchot, disons, ou même par rapport à Ernaux : « venger sa race », etc.). Une conception je dirais, de mécréant. Mais ambitieux, parce que le revers de cette pauvreté c’est l’orgueil de prétendre (ou plutôt que prétendre : essayer) recommencer un peu à zéro.

Poème, série 2, A l’Origine

Ceci
où prime
d’un lieu le désir
3angulaire
est la très ancienne
cabane des douaniers
sur le toit de granit gris taché
de verdeurs moussues de laquelle
nous alignons nos fesses
contemplant la mer bleue où font planche
les moutons s’effilochant en dentelles une fois déchirés
par dents de rochers riant, se tenant les côtes sauvages.
Non nous n’apprenons rien sur ce toit
sauf la liberté infondée dont les hommes ont tantôt
sentiment qui s’évanouit comme fumée hors de la cheminée
nous jouxtant dès qu’une langue, croyant naïvement dans le pouvoir revendiqué
des mots, approche ses sabots pour définir.
…………………………………………………..N’EXISTERA QU’ÉPROUVÉE.

.

.

.

.

.
.
.
.
.
Poème, série 14, L’Invention de la Baule

Les enfants
se hissent sur le muret
qui borde la mer verte
où les baigneurs s’enfoncent

Il faut parler des oiseaux
…………pour observer leur vol

Et chercher l’absolu
………….dans des prétextes.

Poème, série 14, L’Invention de la Baule

Il y a bien quelque chose
à comprendre
…………..dans le discours des mouettes

Mais ce n’est pas pour nous
………….les animaux parleurs
………….et raisonneurs
………….les vacanciers honteux
………….de rêver à l’apéritif

Les mouettes chantent pour les mouettes

Et lorsque la pluie tombe
comme de minuscules bombes
explosent mon écriture

Les lettres s’évasent
voilà je suis maintenant seul
à savoir ce que j’ai écrit

Bientôt j’oublierai moi aussi.

Poème, série 5, A Ayumi

Pierre Vinclair

Pierre Vinclair

Pierre Vinclair cherche à construire, dans le poème, une image (chantante, pensante, vivante) de tout et n’importe quoi : des territoires qu’il arpente, des gens qui comptent, de ce qui nous arrive, des figures cachées sous les choses. Ces quatre types d’êtres (lieux, personnes, événements et structures) forment d’ailleurs l’objet d’une tétralogie dont le premier volume est paru en 2022 chez Flammarion sous le titre L’Éducation géographique. Parallèlement, il cherche aussi à comprendre, dans des essais, le fonctionnement de cette bien étrange chose, un poème. Après avoir vécu dix ans en Asie (Japon, Chine, Singapour), il habite aujourd’hui en Suisse, d’où il anime la revue Catastrophes et dirige la collection S!NG du Corridor bleu.

    Voir tous ses articles

    Laisser un Commentaire

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.