La petite avait tout le temps détesté avoir peur à l’école, et à l’âge de treize ans, quand le paroxysme de sa souffrance eut été atteint, elle décida que plus jamais.
Plus jamais l’école de filles.
Plus jamais treize ans, pas un jour de plus.
Plus jamais cette sensation d’être un cerveau, une machine à lire, à tout avaler et déchiffrer malgré elle, avec un corps craintif et maladroit et des nerfs surchargés de signaux électriques.
Au moindre prétexte surgissait la question du sens : quel intérêt d’aligner des symboles algébriques sur des pages entières, de se disputer avec vulgarité une balle pour la mettre dans un but plus désiré et lorgné que le sens de la vie ? Quels vides cela remplissait-il, se demandait-elle avec ses lunettes de myope, comme si cela n’était pas aussi seulement une autre manière de vivre, de rendre son corps pugnace, de bien choisir ses gestes ou sa stratégie, pour marquer des points, vaincre. Chacune assurément mettait le sens où elle pouvait, selon l’acuité de ses besoins de survie et ses moyens propres, dans la domination physique sur le monde et ses pairs, ou dans le maintien en équilibre fragile d’une grosse tête pleine du bruit des livres et de la guerre, et du besoin de tout chercher à comprendre, même ce qui dérangeait les profs qui n’avaient pas que ça à faire.
Plus jamais ces jeux collectifs où il s’agit de montrer sa force, son adresse, d’écraser l’autre autant qu’on peut ; jouer au ballon prisonnier, au basket, c’était bien le mot jouer avec le nom d’un sport, collectif, disait-on : en fait seules les cooptées de la transpiration vacharde pouvaient hurler en chœur de joie ou de désespoir au score final.
Plus jamais l’insulte et l’invective à l’empotée qui finissait par faire semblant parce qu’on l’accusait de faire exprès ; crocs en jambes, ballon prisonnier projeté à dessein dans sa poitrine qui faisait sa plantureuse croissance indépendamment du reste du corps et le faisait payer ; la règle du jeu non écrite c’était la lutte pour la vie des ego. Elle détestait cette virilité de filles, ce qu’elle ressentait comme ça, tout en enviant la popularité qu’elle inspirait.
L’art de la guerre s’apprend sous les préaux comme sous les murailles de Troie ; si du moins l’on veut guerroyer, si l’on ne trouve pas une planque dans les flancs de quelque cheval de carton pâte, pour en finir avec l’obsession de faire tomber des invincibles murailles, et enfin reprendre la mer.
Plus jamais les moqueries, plus jamais les cancans, plus jamais la solitude dans le bruit épuisant des jeux de la cour de récréation, leurs braillements ou invectives.
Plus jamais voir se pavaner les princesses à éphèbes de quartier ou d’association sportive. Plus jamais les condisciples (car camarades, non) qui font la cour à ces mignonnes et espèrent ainsi attraper quelque chose de leur succès, mais se taisent à votre approche pour vous montrer que vous n’êtes pas des leurs, ça, non.
Où était passé le vrai jeu, celui qu’on accorde aux enfants, celui des vacances avec figures tutélaires libérées des devoirs, qui fait naître le rire sans bride, le plaisir de la gratuité et du bon mot qui est flèche épointée et vaccinatoire, la circulation des corps et des imaginaires ? Celui où l’échec ne se donne pas péché originel des faibles, effondrement de l’âme à la mesure du triomphe goguenard des vainqueurs, mais se dissout dans la patience d’expliquer à qui ne sait pas, dans l’acceptation des faiblesses qui les transforme en désirs de mieux ?
Pas au collège en tous cas, à treize ans.
On attend impatiemment la suite !
Si finement et sensiblement écrit qu’on s’y croit. Qu’on s’y retrouve, plutôt. Et encore, heureusement que certaine enfant fragile n’a pas connu, outre l’enfer des cours de récré, son double dans les réseaux asociaux.
Merci beaucoup, Ariane ! J’espère que la suite qui décroche pas mal par rapport à tout ça ne sera pas décevante.
très beau texte merci
Merci beaucoup, cela m’encourage et me touche.