– ce jour-là il apprenait la mort d’un poète qu’il aimait. alors qu’ il recherchait sur internet une interview de l’homme, il avait découvert que celui-ci s’était éteint dix jours plus tôt, dans le village normand où il vivait comme depuis toujours, et d’où il écrivait au monde. son sentiment, alors, au beau milieu du hasard, avait été celui d’une profonde gratitude. s’il tentait de l’interroger, de la remettre en lien avec ce qui advenait, il se rendait compte qu’il était reconnaissant au poète d’être parti en ayant laissé quelques traces. traces discrètes, puisque l’homme et son travail étaient restés inconnus du grand public, mais traces. il avait éprouvé de la honte, aussi, lisant les articles encenseurs qui parlaient « d’un des plus grand poètes des temps », alors même que son nom n’était pas apparu dans les pages des journaux depuis des lustres. dans le silence de la maison de bois, il avait alors réécouté l’homme, ses mots, ses cachettes. plus tard, cette même journée il s’était installé sous un pommier avec l’enfant, pour goûter un biscuit à la figue et le froid soleil qui restait. son esprit avait alors relié les deux événements : la mort du poète et le repos sous l’arbre. pourquoi ? peu importait au fond. une idée du simple et de l’offrande, peut-être. une sensation d’écoute infinie. un merci chuchoté au soleil.-
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– encore, il lui arrivait de penser à sa place sur la terre. à lui se tenant sur la terre. au tribut qu’il lui faudrait, tôt ou tard, verser à la terre pour le bonheur auquel il avait droit. dans ces moments il se sentait coupable d’aimer les livres, les chansons, et que le monde se taise, parfois. il regardait les autres, ceux dont les corps bougeaient vers autre chose, dont les mains servaient à autre chose qu’à raconter des histoires. lui-même savait apprécier l’effort vrai des mains, il brûlait même de construire et, souvent, de se perdre dans ce qu’il construisait. mais jamais ce sentiment ne s’était installé dans la durée. manquait-il quelque chose ? il savait que non. il pensait que oui. chaque jour pourtant portait sur lui sa trace, dont il avait à cœur non de faire quelque-chose, mais de la garder, comme pour rien, pour personne, pour les vents de demain et la nuit qui arrive. –
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– ou bien seul, cela arrivait, dans sa voiture et sur la longue route qui traçait (était-ce un signe?) de nulle part à nulle part. mais lui y allait, et roulant vers l’ouest, plus que le soleil, c’était la lumière qui lui brûlait la peau. une musique récemment découverte, de beaux claquements de guitare et la voix aigre-douce d’une femme loin chantant. il pensait souvent, dans ces moments de privilège, s’éloignant de chez lui mais sachant qu’il y reviendrait avant d’avoir eu le temps de se rendre au manque, il pensait alors à ses échecs répétés pour composer une chanson qui vaille. à ses oreilles et à ses doigts, à ce qu’il pensait pouvoir, ou devoir, offrir au monde qui déroulait devant lui. dans ces moments cependant, il prenait son parti de cette perpétuelle défaite. il avait choisi les mots sans la musique. il y reviendrait sans doute. pour ce jour il était seul et conduisant, seul et chantant les mélodies d’une autre, seul et brûlé de lumière, et ce moment comme de nombreux autres similaires resterait, il le savait, comme un de ces instants dont le temps lent et l’existence recluse des campagnes, seuls, ont le charme.-
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© photo Oleksandr Pidvalnyi,pexels.