Je n’ai pas décidé d’écrire en anglais. C’est d’abord un rythme qui s’est imposé à moi, et il se trouve que les mots qui s’associaient le mieux à ce rythme n’étaient pas ceux de ma langue. J’ai donc suivi cette intuition. Si les traductions de ces poèmes comportent parfois d’heureuses trouvailles, elles restent avant tout pour moi un outil, une aide à la compréhension du texte anglais. C’est ce texte qui constitue le coeur de l’oeuvre.
Je tiens aussi à dire qu’il ne s’agit pas selon moi de « poèmes d’amour ». Le déséquilibre est trop grand. Il y faudrait plus de réciprocité. Non, l’amour viendra plus tard. C’est plutôt l’évocation d’un rude apprentissage, des premiers emportements passionnés suivi des premières blessures.
What were you thinking boy ? A cette question rhétorique, le jeune homme répond en toute franchise, sans déceler le sarcasme peut-être. Il a aimé naïvement, sans mesure, sans se protéger, et c’est avec la même absence de méfiance qu’il le confesse. La naïveté, plutôt qu’une forme de simplicité d’esprit, ce pourrait être cette spontanéité du sentiment et de l’expression.
What were you thinking, boy ?
I stand here 21 year young writing blood rushing forth to my warm strong hand writing young as I can thinking old me will read this and feel his throat or not doesn’t matter nothing except the next minute still alive writing still young and strong and the one that follows maybe
Me voici à l’âge où l’on ne vieillit pas encore à l’âge où le sang jeune irrigue la main ferme écrivant jeune tant que je le peux pensant dans mes vieux jours je relirai ces mots et sentirai ma gorge se ou non qu’importe seule compte la prochaine minute de vie d’écriture jeunesse et force oui cette minute et celle qui la suivra peut-être
I am so fucking full of desire love affection call it however you want I’m so full of it other thoughts are lies and it burns and weighs so oh so heavily I can not act like I don’t care I will never and I know I will regret it but I can’t I apologize to my future self
Je n’ai en moi que ce putain d’amour désir attrait appelez ça comme vous voulez j’en suis gorgé me mens quand je crois penser à autre chose ça me brûle et me pèse tellement oh comment pourrais-je feindre l’indifférence impossible je sais que plus tard je le regretterai mais c’est impossible je m’excuse auprès de celui que je serai
Come meet me on the shore
where the sea starts or ends
There you’ll know my pain
see what it’s like to be loved and left and loved again
bathed, caressed, abandoned naked in the cold mud
again taken
your ebb and tide my life long nightmare
your ebb and tide
there and gone
warm and cold
there and cold then warm and gone again
but there still I’m your wet sand
Rejoins-moi sur la grève
là où la mer débute ou s’achève
Là tu connaîtras ma souffrance
celle de l’homme aimé, délaissé, puis aimé à nouveau
baigné, caressé par les vagues, abandonné dans la vase froide
emporté à nouveau
ta marée mon cauchemar sans éveil
ta marée
ici puis là
chaude puis froide
froide ici puis chaude mais là-bas déjà
et ici encore moi ; ton sable humide
god She brings air food water sun song for my childish ear hand mother she brings grounds sky trees and tree cutters wood sparkle breath water on the fire life death and rebirth she the judge she the lawyer guilty she tears apart sews back together the minute after she brings the minute after she is my minute after she the world dinosaurs men starfish rocks and all she the meteoric end ?
mon dieu n’est-Elle pas l’eau le pain le soleil et l’air la mélodie qui berce l’enfant que je suis n’est-elle pas mère de la terre et du ciel des arbres et du bûcheron qui les abat de l’étincelle du souffle et de l’eau sur le feu n’est-elle pas vie mort et renaissance le juge et la défense celle qui déchire de rage et coud patiemment l’instant d’après n’est-elle pas l’instant d’après le monde entier dinosaures hommes étoiles de mer et récifs n’est-elle pas la météorite finale ?
Later she might
call me later
or Alban
or come later she may come or now
any minute
I must stay awake fresh alive
open anytime to anything
no will but hers no time
my watch set on her
Plus tard il se peut
qu’elle m’appelle plus tard
ou Alban
ou vienne plus tard il se peut qu’elle vienne
maintenant peut-être
à tout instant
je dois rester frais et dispos
prêt à tout quelle que soit l’heure
sans autre volonté que la sienne sans autre temps
je veille à son fuseau
Isn’t he dumb waiting for what waiting for she if she could eat him she would not with her eyes eat him not wait for him to stop waiting shy cat in the rain
First move heavy first stone god only god can first move like a first man how do you where do you body limbs strange body wood and the fire won’t start
Qu’il a l’air niais ainsi à attendre quoi à attendre qu’elle mais elle le dévore des yeux déjà voudrait de sa bouche voudrait cesser d’attendre qu’il cesse d’attendre quelle poule mouillée
Premier geste oh comme la première pierre est lourde il faudrait être dieu pour premier geste tel un premier homme comment fait-on donc pour et où met-on ce corps ces membres encombrants tout de bois mais le feu ne prend pas
Beautiful aching and soothing love poem ; fine rhythmics, so unlike in both languages ; actually would say more them to be two different poems ; so much blood and beats in the first version, rather enjoyable sorrow in the second, or am I wrong ? And as if future insights could save past. But as it sometimes does…
Quel plaisir de se plonger dans le liquide des sonorités, des mots anglais puis dans celui du Français. Cette polyphonie est enchanteresse.
Et la violence du fond n’en est pas amoindrie, au contraire.
Si l’on doit crier l’essentiel ce serait en plusieurs langues.