« Ce qui, par dessus tout, contribue le plus directement à notre bonheur, c’est une humeur enjouée, car cette bonne qualité trouve de suite sa récompense en elle-même.
En effet, celui qui est gai a toujours motif de l’être par cela même qu’il l’est. Rien ne peut remplacer aussi complètement tous les autres biens que cette qualité, pendant qu’elle-même ne peut être remplacée par rien.
Qu’un homme soit jeune, beau, riche et considéré, pour pouvoir juger de son bonheur, la question sera de savoir si, en outre, il est gai ; en revanche, est-il gai, alors peu importe qu’il soit jeune ou vieux, bien fait ou bossu, pauvre ou riche : il est heureux. »
Schopenhauer (Parerga et paralipomena)
L’humeur enjouée est donc ainsi donnée à ceux dont c’est l’humeur* (dirait M. de la Palice). Rien qu’à eux. Et à ceux-là tout le reste aussi est alors donné par surcroît. Tout le reste, c’est à dire la possibilité de jouir de tout. Le monde est à eux.
N’allez surtout pas me cafarder à Arthur, mais je trouve que ce raisonnement n’est pas sans rapport avec le concept luthérien d’élection gratuite : ce serait la grâce (que Dieu octroie sans avoir besoin de motiver sa décision) qui sauve, et non les actes. Fût-ce, disons au hasard, l’effort de lutte contre sa mélancolie.
On peut supposer (et je le suppose) qu’Arthur se dit : c’est pas juste. « Je suis quelqu’un de bien, en tous cas pas pire que beaucoup d’autres vipères et crapauds. Alors pourquoi ne suis-je pas au nombre des ces heureux élus ? »
Avec le mot humeur, sous le masque paradoxal de la physique, revoilà la métaphysique, à tout le moins le fatum. « Toi, Arthur (se répond-il), t’as l’humeur noire, c’est comme ça, c’est ton destin. »
Montaigne voit les choses autrement (ça ne nous étonnera pas) :
« Chacun est bien ou mal selon ce qu’il s’en trouve. Non de qui on le croit, mais qui le croit de soi est content. »
(Essais I,14 Que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de l’opinion que nous en avons)
Pragmatique, il remplace l’humeur, chose innée, donnée sur laquelle on n’a pas de prise, par l’opinion, l’idée que chacun peut élaborer de soi, de sa situation. Et, notons-le, une opinion qui ne dépend que de soi seul.
Élaboration pas entièrement consciente bien sûr, mais qui concrètement implique une certaine forme de responsabilité.
« Oui mais l’ennui, du coup : pour ceux qui ont du mal à s’aimer tels qu’ils sont, à se contenter d’eux-mêmes, ça risque de charger encore la barque. A leur fragilité s’ajoutera le soupçon de faiblesse morale. »
Arthur, si tu pouvais arrêter de voir le verre à moitié vide …
*Pensons à la classification des tempéraments selon l’humeur prédominante (flegme, sang, bile jaune, bile noire) qui a perduré jusqu’au 18°s dans la médecine occidentale.
Image par elizadiamonds de Pixabay
Eh oui, Arthur semble flirter plus avec Pascal qu’avec Montaigne, la bonhomie d’icelui flirtant avec un brin de mauvaise foi, comme tu le pointes fort bien. Qui n’a pas un naturel gai a peu de chance d’avoir une bonne opinion de soi, pas plus qu’il n’en aura des autres? Mais écrivant cela, j’ai un doute, car on en croise de ces tristes figures que les défauts du monde accablent mais feraient bien à chacun la leçon, car eux, ce sont des gens bien.
Peut-être qu’en effet le salut gît dans cet interstice, de connaître les vilénies et horreurs du monde autant que ses propres limites, mais de n’en faire reproche à personne ni à soi, mais de travailler à les grignoter, cultiver son jardin, et éventuellement donner un coup de main au jardin du voisin : s’occupant ainsi utilement, l’atrabilaire conquerra peut-être quelques précieux instants sinon d’exultation, du moins de paisible fatigue : n’est-ce pas le début de quelque chose qu’on appelle la joie?
Oui je souscris à fond à ce programme vers une paisible joie. (Ce qui ne veut pas dire hélas qu’il me soit facile, mais bon, déjà le voir, le savoir possible, m’y projeter …)