« Les amis se disent sincères ; ce sont les ennemis qui le sont. Aussi devrait-on, pour apprendre à se connaître soi-même, prendre leur blâme comme on prendrait une médecine amère. »
Schopenhauer (Aphorismes sur la sagesse dans la vie)
T’es sûr, Arthur ? Je sais bien que t’as pas eu trop d’amis dans ta vie, mais quand même sur ce coup-là, je me demande si tu te goures pas un peu.
Implicitement cette affirmation laisse en effet entendre que la haine serait plus clairvoyante que l’amour, l’antipathie que la sympathie. Certes il y a des amis prétendus (ou même sincères) qui à force de flagorneries stupides (et intéressées souvent, par exemple dans le cas des courtisans en politique) ont un effet débilitant sur la lucidité.
Mais cela confère-t-il pour autant certificat de sincérité aux ennemis ?
… Euh bon, je vois pas pourquoi je me lance là-dedans, je ne suis pas là pour faire une dissert thèse antithèse synthèse.
En plus vu le mépris de Schopenhauer pour Hegel, il le prendrait mal. Et je n’ai pas envie de m’en faire un ennemi.
En fait ce qui ressort de plus clair de cette pensée, c’est le masochisme de notre pauvre ami Arthur, son amertume.
Amer : oui, voilà un mot qui lui convient. D’où lui vient donc cette défiance affirmée envers son prochain ? En général pour déceler l’origine de l’amer faut la chercher, la mère (ou le père). Est-ce le cas, j’en sais trop rien.
Mais à le lire on ressent qu’il a vécu dans le sentiment d’une sorte de disgrâce. Peut être aurait-il bien voulu, tel le Jacky de Brel, être une heure, une heure seulement, être une heure rien qu’une heure durant, beau …
Beau et con à la fois ? Pas jusque là quand même. Il avait conscience du charme de l’intelligence, de l’éblouissement produit par l’art de libérer le rayonnement d’une pensée comme on lance la fusée d’un feu d’artifice.
Cette histoire de médicament amer m’évoque surtout quelqu’un de moins cynique avec ses amis. Sauf quand ils étaient médecins.
« Au demeurant j’honore les médecins. Ce n’est pas à eux que j’en veux, c’est à leur art, et ne leur donne pas grand blâme de faire profit de notre sottise, car la plupart du monde fait ainsi.
Je donne grande autorité à mes désirs et propensions. Je n’aime point à guérir le mal par le mal ; je hais les remèdes qui importunent plus que la maladie. Puisqu’on est au hasard de se tromper, hasardons-nous plutôt à la suite du plaisir. »
Essais II, 37 (De la ressemblance des enfants aux pères).
Oui voilà on va dire ça : hasardons-nous à la suite du plaisir.
Conclusion : si le comprimé de Schopenhauer nous déprime, on peut toujours l’adoucir d’une lichette de Montaigne.
Image par elizadiamonds de Pixabay
Je dirais même plus, mieux qu’une lichette, du Montaigne sans modération ! A bas les régimes maigres !
Néanmoins de ce pipi au vinaigre du pauvre Arthur dont les géniteurs et leurs possibles abus me sont totalement inconnus, on peut peut-être tirer quelque constat détox : les ennemis, les haineux, les ravis de la vengeance, parfois, sont de fameuses pierres de touche de notre courage, de notre patience, de notre vitalité, qui nous contraignent, sous le feu de leur vitriol, à passer notre existence au karcher de la lucidité, et à ne nous refuser ni le droit à avoir erré ou méjugé, ni le constat consolant qu’on a, parfois, exercé quelques vertus.
Voilà de fortes paroles, de vertu oui au sens propre ! J’aspire certes à renforcer ma vitalité, ma patience, mon courage (Spinoza un jour Spinoza toujours) grâce à ces « ennemis » (souvent inconscients de l’être d’ailleurs, la lucidité m’a au moins appris ça : c’est rarement personnel, comme on dit. )
Mais pour ne pas se sentir défiguré au feu du vitriol, ni écorché par le karcher de la lucidité (bien trouvé !), il faut avoir je crois le cuir plus épais que je ne l’ai.
Oui , L-A, bon tir et regard perçant.
Oui Ariane, pour moi A.S, fut comme les endives, insipide, amer et malgré tout une nourriture utile à sa façon, facile à lire équivalent du pas cher du légume ,de quoi passer l’hiver indigent et retourner vers d’autres dévorations plus fulgurantes, goûteuses, Montaigne .