« Quand l’État se dissout, l’abus du Gouvernement quel qu’il soit prend le nom commun d’anarchie. En distinguant, la Démocratie dégénère en Ochlocratie (gouvernement de la multitude), l’Aristocratie en Oligarchie. » (DCS III,10 De l’abus du Gouvernement et de sa pente à dégénérer)

La dégénérescence (filons la métaphore biologique) provient de l’expression d’un gène qui perturbe le programme ADN du corps social (cf 4). Or notre démocratie représentative est, si l’on utilise les termes de Rousseau, un mixte de démocratie et d’aristocratie élective. Elle présente donc une susceptibilité aux deux dégénérescences.

Première dégénérescence, l’oligarchique. « À l’instant que le Gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu, et tous les simples Citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés mais non pas obligés d’obéir. »

Non obligés = ils sont déliés du contrat du fait de son non-respect par l’autre partie. A qui ne reste donc que la force, à défaut du droit.

Rappelons que le gouvernement est le mode de gestion du pays, sa structure d’administration. La souveraineté est la prérogative du seul Souverain (l’entité collective née du contrat).

Le gouvernement usurpe la souveraineté quand les chargés de gouvernance (aristocratie élective) (pour nous gouvernement et parlement, élus locaux, auxquels on peut ajouter la haute administration) agissent ou décident selon la logique et les intérêts des sous-groupes qu’ils constituent, au détriment de l’ensemble du corps social. C’est la rupture du contrat venue d’en haut.

La rupture peut aussi venir du bas, si chaque individu se décrète Souverain. C’est souvent en opposant la légitimité du « peuple » à la rupture oligarchique du pacte, sur le thème « c’est eux qui ont commencé ». Les citoyens en multitude (et non plus en corps) vont s’autoproclamer souverains (c’est ça l’ochlocratie). L’ennui c’est que dans le Contrat social le pluriel du mot est une contradictio in terminis. Le souverain n’est tel que par la volonté générale. Si elle ne l’est plus, le souverain se trouve dissous de facto.

À multiplier les volontés qui se veulent souveraines (individus ou groupes d’intérêts), on atomise la volonté générale*, on s’achemine nécessairement vers un retour à la case départ du hors contrat social : le droit du plus fort, et la lutte insensée de tous contre tous.

On ouvre alors la voie à une anarchie pain bénit pour tous les aspirants despotes qui rêvent de passer pour des défenseurs de la démocratie. Moyennant l’usage cynique de quelques vérités dites alternatives. Et ils auraient tort de s’en priver : apparemment plus c’est gros plus ça passe.

*Cf Le règne de l’individu tyran (Éric Sadin Grasset 2020)

Image par Gerd Altmann de Pixabay

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