Les conventions régissant les sociétés ne viennent pas d’une nature qui, associée ou pas au divin, serait un c’est comme ça : les Lumières posent cette affirmation émancipatrice, qui ouvre la voie à la contestation de l’ordre établi. Rousseau y souscrit entièrement. Il construit pourtant sa réflexion à partir du terme état de nature. Comment l’entendre ? S’il connote positivement le mot, ce n’est pas pour l’opposer à la culture, à l’art, ni même à l’artifice, mais bien plutôt à l’artificiel, l’inauthentique*.
La fiction d’état de nature ne prétend pas dire une réalité des commencements, mais pose une hypothèse fondamentale (au sens logique) qui soit opératoire dans la réalité actuelle. Rousseau n’est pas un mytho qui raconte l’histoire du bon sauvage, mais un chercheur affronté à la résolution d’un problème des plus ardus.
« ‘Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant’ Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. » (DCS I,6 Du pacte social)
N’ambitionnant pas d’écrire un thriller, J.J. énonce d’emblée cette solution.
«Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivants : chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. » (I,6 Du pacte social)
Comme il faut en bonne méthode définir les paramètres, il termine le chap 6 par une liste bien fournie (il n’écrit pas de thriller, mais effrayer le lecteur ne lui fait pas peur).
« Cette personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les personnes prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables.
À l’égard des associés ils prennent collectivement le nom de Peuple et s’appellent en particulier citoyens comme participant à l’autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l’État.
Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l’un pour l’autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision. »
Il suffit, ajoutons et il faut.
Leur distinction est en effet essentielle pour comprendre ce qui légitime ou pas un pouvoir en démocratie. Rousseau précise en note « le vrai sens du mot cité s’est presque entièrement effacé chez les modernes (…) ils ne savent pas que les maisons font la ville mais que les citoyens font la cité. »
La cité n’est donc pas (ou pas seulement) ensemble géographique, groupement (prétendu) ethnique, c’est par essence un lieu symbolique. La question n’est pas de faire corps au sens matériel, mais de faire corps politique. Le contrat social récuse radicalement toute essentialisation du peuple et/ou de sa terre.
Ni droit du sol ni droit du sang, mais droit du sens, il pose le mot peuple comme la nomination sous laquelle on se reconnaît adhérent à l’association qui politise les individus, sujets passifs (et souvent d’autant moins patients), en citoyens, artisans et acteurs de la vie du corps social.
*Comme bien des gens complexes et pétris de contradictions, il nourrit un fantasme de simplicité, de transparence. cf l’exergue de Confessions Intus et in cute = à l’intérieur et sous la peau.
Image par Gert Altmann de Pixabay
Oui, brillamment convaincant, mais la question qui s’échappe comme une truite dans le flux limpide du sens, c’est celle du consensus sur ce qui est l’intérêt général, et de l’obtention d’une soumission à icelui !
Je me doute que la réponse se trouve quelque part entre deux eaux, entre les lignes…patience, donc!
C’est LA question en effet, et en principe oui j’espère, elle va s’éclairer dans les articles suivants, au fur et à mesure du déroulement de la logique de JJ. A condition de s’en tenir toujours très exactement à la précision de ses définitions. C’est pourquoi régulièrement j’essaie de les rappeler.
D’autre part tu t’en doutes j’ai évidemment laissé beaucoup d’étapes dans l’ombre, essayant juste de suivre le fil le plus direct du raisonnement (tel qu’il m’est apparu du moins). Mais pour concrétiser certains aspects, le mieux bien sûr est d’aller à la source, de reprendre, chacun(e) à son rythme et avec ses questions, la lecture de l’oeuvre. Mon but est d’essayer d’en donner envie …
Et en tous cas je serai contente si tu continues à me lire.