–Gentillet, ette. XVI°. Assez gentil, petit et gentil.
-Petit et gentil. Merci Robert. Une association d’idées sur laquelle les moins de 10 ans ou de 1m55 (sans me vanter) auraient à dire dans les files d’attente, les métros bondés. « Le petit, là, on peut y aller, le bousculer, lui marcher sur les pieds, il a l’air gentil, et de toutes façons il n’a pas les moyens de sa colère. » Bref t’es petit, sois gentil et tais-toi. (Et quand t’es petite n’en parlons pas). Tu connais pas ta chance, Blanche, de vivre dans ton monde.
-Ça veut dire quoi, mon monde ?
-T’es quand même un peu en marge de la vraie vie …
-Et tu crois que c’est plus facile ? Surtout avec quelqu’un dans ton genre …
-Ça veut dire quoi dans mon genre ?
-Tu veux savoir ? Exigeante, jamais contente, raturante …
–voir mignonnet. Plutôt péj. Agréable mais insignifiant. « Un roman gentillet »
(Quel dégonflé, tu crois qu’il balancerait ?) (Tais-toi il va t’entendre).
-Qu’est-ce que vous dites ?
-On disait euh c’est curieux quand même l’évolution sémantique. Comment est-on passé de gentil au sens de noble (XI°s) à gentil au sens d’agréable et bien disposé (XIII°s) et jusqu’au péj gentillet ? Le noble, en position dominante dans la hiérarchie sociale, n’avait nul besoin d’être sympa.
-Quoique. Faut payer les mercenaires, gratifier les vassaux. Du coup les années de disette t’as beau pressurer serfs et vilains, faut apprendre à séduire le riche bourgeois qui peut avancer quelques sous.
-Vous avez remarqué, quand même, que les dates suggèrent un rapport avec l’évolution des cours féodales vers des mœurs plus policées, l’amour courtois tout ça ?
-On n’est pas totalement quiches. Mais pourquoi gentil pour devenir bon et charmant a-t-il dû sacrifier ses lettres de noblesse ? That is the question … Tu voulais dire un truc Blanche ?
-J’ai lu un livre sur la gentillesse. J’ai oublié le nom de l’auteur (l’aurais-je retenu s’il s’était agi d’un écrit provocateur, violent, je me demande tout à coup).
-En fait c’est Petit éloge de la gentillesse (Emmanuel Jaffelin).
-Ah merci Robert.
-De l’intérêt du tempérament obsessionnel* je dis ça je dis rien.
-Oui bon. Il dit c’est une vertu sous-estimée. Sans prétention à l’idéalisme platonicien ni à l’éthique kantienne, vertu humaniste par excellence. Véritablement socialisante du fait qu’elle est réponse. Le gentil est discrètement à l’écoute. Il n’impose pas sa gentillesse, pour (se) prouver qu’il est quelqu’un de bien. Il se contente de répondre présent s’il en perçoit le besoin chez autrui. Ni esbroufe ni pathos ni recherche de pouvoir dans son empathie. Jaffelin différencie la gentillesse et la sollicitude, qui est surtout intra-familiale, l’obligation mutuelle de prendre soin les uns des autres. Avec l’intrusion que cela peut supposer, dit-il, surtout dans le sens parents/enfants (ajoutons le sens inverse dans la dépendance du grand âge).
-C’est vrai : la sollicitude n’est pas toujours au-dessus du soupçon de sadisme inconscient des soignants et des éducateurs (dit Freud) (je ne commente pas).
-Vous dites ça pour moi, Ariane ? C’est pas gentil.
-Mais non Robert. (Il est parano décidément) (tais-toi il va t’entendre).
-Bref la gentillesse est une petite vertu, mais solide. Elle n’est pas capable de changer tout ce qui va mal. Le gentil vient seulement réveiller la gentillesse qui sommeille en chacun. Voire la réanimer pour les cas où elle est en coma dépassé. C’est vrai que certains jours on se dit y a urgence.
-Faut pas voir tout en noir, Blanche, même si par définition ils font pas de bruit, des gentils il en existe bel et bien, j’en ai rencontré plus d’un(e).
*cf 1/12 Mot
Image par PDPics de Pixabay
Merci de défendre les gentils, que de méchantes langues traitent parfois de gentillets, histoire de ne pas voir la poutre de suffisance amère enfoncée dans leur œil jusqu’à la moëlle épinière !
De la noblesse du mot à sa chute dans le péj. , en passant par les bonnes dispositions du temps des cathédrales, toute la question pas si gentillette des apparences et de l’éducation …
Pê que la gentillesse change quand même les choses, parce qu’elle met en évidence le fait qu’on est de la même « gens » de la même famille humaine. Elle s’appelle aussi la bienveillance, dont elle est le bras armé de presque rien.
Envie de découvrir ce livre dont tu parles…
Tout à fait d’accord, la question des apparences et de l’éducation. Apprendre les comportements qui nous font humains, y compris dans l’extériorité (apparente) de la « politesse ». Humains, veillant les uns aux autres.
Oui, en accord avec vous deux, qui avancez à petits pas précautionneux pour cerner le ver dans la pomme, le malin dans nos vies. A mort les « goupils », viles bêtes et vivent les « gentils ».