« C’est au coucher du soleil que les nuages sont le plus lumineux. C’est vers la fin de l’année que les orangers sont le plus odorants. C’est au bout du chemin, au soir de la vie, que l’être noble doit sentir son énergie spirituelle se décupler.»
Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,99)
Voilà. On va dire ça. Un peu méthode Coué mais bon : quel choix on a ? Vieillir n’est déjà pas drôle, alors autant s’éviter la double peine. Décliner, s’affaiblir, s’affadir, puisque ainsi (s’en) va la vie, mais au moins que ce soit sans amertume.
Je ne sais si c’est au coucher du soleil que les nuages sont le plus lumineux, mais il y a une chose dont je suis sûre : à ce moment où on sait qu’elle va disparaître, tout à coup on voit vraiment sa lumière, au soleil. Le miracle de la lumière. Si belle, si forte, si persévérante, si bienveillante. Comment ne pas ressentir envers elle gratitude et admiration, d’autant plus ferventes que la nuit approche.
Alors en revanche côté énergie spirituelle, pardon Hong, mais la mienne je la sens pas disons boostée à mort par l’approche du dernier bout de chemin. Faute de noblesse ? En tous cas je dirais plutôt je me dénoue par tout avec Montaigne* (donc ouf : pas faute de noblesse).
Une heureuse expression (à défaut que la chose le soit) que je relie à la pensée de Freud. Libido = force de liaison, intégration, construction. Pulsion de mort = déliaison.
(Oui je sais je suis en boucle sur les mêmes. C’est que n’ayant plus de temps à perdre, je vais à ce qui me va vraiment.) (Par contre vous avez remarqué à mon âge j’éprouve encore le besoin de me justifier. Pathétique, non ?)
Bref ceci pour dire que jusqu’à un certain moment du parcours, rien de ce qu’on vit ne se perd, tout fait expérience, tout vous arrime au corps de la vie (parfois par un bricolage de bouts de ficelle, mais qu’importe). Et puis un jour on a beau essayer encore, ça ne marche plus. Un truc s’est enrayé dans le moteur, ou bien on manque de carburant : toujours est-il que c’est la panne. Le stock d’énergie non seulement ne s’est pas décuplé, mais il s’épuise, et on n’émet plus qu’une lumière bien faiblarde.
Reste à accepter. Et suivre le conseil de Schopenhauer de se considérer de manière désintéressée, c’est à dire radicalement non narcissique. Comme de l’extérieur, un objet parmi les autres. (Comme un voisin comme un arbre dit Montaigne).
Et là il paraît dixit Arthur qu’on se voit vivant dans l’œil unique du monde. Bon ça le fait pas tout le temps, admet-il, mais il suffit que ce soit arrivé une fois pour que ça change toute la perspective.
Vous savez quoi : il a raison je crois bien.
*Essais I,20 Que philosopher c’est apprendre à mourir
image congerdesign (pixabay)
Là je l’aime bien, monsieur Hong. Coué, oui bien sûr, mais pas que…Oui ça se défait, ici ou là ça point, ça se médicamente, ça se coince, et ça s’àquoibonise… mais la lumière michelangélienne derrière les nuages du soir, on est bien obligé de la voir.
Je ne suis pas sûre qu’il y ait un oeil unique du monde pour nous voir, mais au fond je préfère, en tant que descendante involontaire de Caïn, comme tout le monde. Oui en revanche pour se voir comme un voisin comme un arbre… pas si difficile que ça en somme, et parfois ça attendrit sur les voisins, et ça nous fait des vacances.
Le carburant, la libido : est-ce que c’est la question de l’âge ou du moment que l’on traverse , Des nourritures qu’on absorbe, corporelles, émotionnelles, ou intellectuelles? des plaisirs qu’on s’autorise (ô mille mercis encore Baruch S.!)
Lire les billets d’Ariane Beth en est une bien vitaminée, en tous cas !
Moi non plus (ni Arthur pour ce que j’en ai compris) je ne vois pas cet oeil unique du monde dans le style « surveiller et punir ». Mais plutôt comme une sorte de fonction-contemplation, une fonction dont on est l’acteur et l’objet en même temps. Euh en fait ça nous ramène une fois de plus à l’ami Spinoza. Mais bon sa compagnie est des plus agréables et douces, alors …