« Toute étude exige concentration et dévotion. De même qu’il est vain de s’exercer à la vertu avec l’esprit tourné vers la réussite et la célébrité, il ne sert à rien de fréquenter les livres avec une inclination pour les fleurs de la rhétorique. »

Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,44)

Dévotion = s’y dévouer, s’y adonner à fond

Vertu + réussite et célébrité = beurre + argent du beurre. Hong ne pense sûrement pas, dans son extrême subtilité orientale (ou subtilité extrême orientale) qu’avoir les deux soit exclu. Ni même condamnable.

Il dit juste que la vertu demande de la simplicité, au sens propre. Ne pas dédoubler son désir. Ce qui ensuite résultera de la vertu c’est secondaire. (Oui bon si c’est réussite et célébrité on fera pas la gueule hein).

Hong n’est pas vraiment pessimiste, peut être le suis-je davantage car je ne peux m’empêcher de penser à tous ces gens qui ne s’exercent pas à la vertu, mais s’exercent à la simuler, voire à seulement en afficher le discours.

Ceux qui ont la vertu médiatique et/ou intéressée. Mais je vais pas donner de noms, à quoi bon tirer sur les limousines.

Y a quand même un truc qui me chiffonne dans le propos d’Hong : le mépris à l’égard de l’inclination pour les fleurs de rhétorique.

Car personnellement j’incline.

Incliner à la rhétorique consiste à goûter la fonction poétique du langage. Pas poétique au sens genre littéraire poésie. Au sens de créativité et de jeu avec le langage.

(Vous avez en tête les autres fonctions du langage j’espère : phatique, référentielle, expressive, conative. Sinon révisez-moi ça vite fait pour le prochain contrôle en présentiel) (outre que c’est très utile pour analyser les productions des réseaux sociaux).

Le jeu avec le langage n’est pas seulement humour. C’est surtout libération, en tant que jeu dans les rouages d’un mécanisme. Et en plus quand ça joue bien, ça peut donner du poétique au carré, cf Magritte ceci n’est pas une pipe.

Tout ceci pour dire que faire la fine bouche devant la rhétorique c’est en fait méconnaître ce que parler veut dire. Parabolare consiste à tourner autour du pot, y aller par approximations, comparaisons et ces sortes de choses.

Bref parler c’est toujours de l’à-peu-près et débrouille-toi avec ça. (Et après on s’étonne que la vie ne soit pas un long fleuve tranquille.)

Pour en revenir à notre Hong, lui, avec ses aphorismes, s’il n’y est pas à fond, dans la fleur de rhétorique, je veux bien manger tous les chapeaux de Magritte.

Image congerdesign (pixabay)

8 Commentaires

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Vertu et célébrité? si la vertu est totale, donc totalement investie dans l’action vertueuse, alors, quel moyen qu’ elle rencontre la célébrité sans y cueillir la vanité ? Mais la vanité est sans doute une invention monothéiste, n’empêche qu’elle mérite qu’on s’intéresse à elle, en ce qu’elle fait perdre beaucoup d’énergie à la vertu.
    En revanche, oui la vertu a part de façon moins contestable, me semble-t-il, au langage et au jeu qu’il met dans les rouages de la relation, les éclairant, les détendant, les déplaçant, et dédramatisant la distance entre les singularités; bref, à la fois outil et produit de fraternité, en petit et en grand.
    Et n’oublions pas la fonction métalinguistique, celle qui nous permet de revenir sur le propos de l’autre pour s’en rapprocher et le rapprocher de nous….
    Ceci n’est pas une pipe parce que c’est toute les pipes possibles….et les chapeaux en prime !

    • Ariane Beth dit :

      C’est vrai ça, la fonction métalinguistique … Comment ai-je pu l’oublier ? Acte manqué ?

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    touteS les pipes, bien sûr… et tu ne l’as pas oubliée puisqu’avec Hong tu étais en plein dedans !

    • Ariane Beth dit :

      Ben oui justement si ça se trouve c’est parce que j’y étais que j’ai omis de la lister avec les autres … Peut être comme l’enfant qui oublie de se compter ? (Bon j’arrête là une auto-analyse bien oiseuse).

  • Sylvie Mellet dit :

    Alors que les autres propositions de Cultiver son potager m’avaient laissée un peu sur ma faim (potager de fin d’hiver sans doute), je trouve celle-ci excellente, goûteuse à souhait.
    Et si je peux mêler mon grain de sel à la recette-discussion précédente, je dirais volontiers – et sans doute très naïvement – que la célébrité étant une propriété externe, elle peut fort bien échoir à un être de vraie vertu sans pour autant le conduire à la vanité. L’important est qu’elle reste une attribution externe à l’individu vertueux sans intégrer son projet de vie.

    • Ariane Beth dit :

      Merci, Sylvie, pour cette précision bienvenue, qui nous rappelle que l’important est de cultiver notre liberté : ne pas entrer dans une dépendance envers les autres, au détriment d’une relation authentique avec eux. Assez utile à nous rappeler en nos temps de clics et de likes …
      Ou pour le dire mieux avec Monsieur des Essais : « Si l’action n’a point de liberté, elle n’a point de grâce ni d’honneur ».

  • Je vois des mots
    La nuit sans plume
    et sans papier
    Puis je les perds
    C’est la loi quand on dort

    Je vois des morts
    leur corps sans lèvres
    et sans aurores
    J’entends leurs voix
    C’est la loi quand on rêve

    Je vois des fleurs
    Des roses et des immortelles
    Belles très belles
    Mon cœur soupire
    Ce ne sont que fleurs de rhétorique

    • Ariane Beth dit :

      Très beau bouquet de fleurs de rhétorique, qui parle aux sens et au coeur. Merci pour cet écho inspiré.

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