Palingenesia, une poétique de l’éternel retour

éditions Kimé, 2024

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Entretien mené par Daniel Kay avec l’auteur, Guillaume Dreidemie.

Daniel Kay est poète et romancier. Son dernier ouvrage Vies héroïques. Portraits, sentences et anecdotes (nrf, Gallimard) est paru en 2024.

Comment dans votre itinéraire personnel avez-vous rencontré le problème de l’éternel retour ? Pourquoi ce thème a-t-il retenu votre attention au point de vous conduire à écrire un livre ?

Comme beaucoup de passionnés par la philosophie, j’ai rencontré le problème de l’éternel retour par la lecture de Nietzsche. C’est ensuite la découverte des Stoïciens qui m’a sensibilisé avec ce thème, à travers les écrits de Chrysippe. Les écrits de Mircea Eliade m’ont amené à approfondir la présence de cette thématique au-delà de la culture occidentale ! L’éternel retour “hante” ma pensée car j’y vois une sagesse pratique, une philosophie de vie, essentielle pour moi et sans doute pour beaucoup d’entre nous : ce que l’on croyait perdu va revenir, ce que l’on croyait mort est seulement endormi et reviendra au temps propice !… Bien évidemment, cela peut apparaître naïf, mais peut aussi témoigner d’une force d’âme, d’une ferveur, qui porte à affirmer comme Nietzsche que « tout n’est pas perdu », en déployant un rapport cyclique au temps, au lieu de s’abandonner à une vision du monde décliniste. Nous ne devons pas perdre l’espoir d’un réenchantement possible !

Lorsqu’on évoque cette idée, on pense généralement à Nietzsche ou à Borges, moins souvent à Balzac. C’est cependant à partir d’une lecture de Balzac que vous nous invitez à entrer dans votre essai.

Profondément dionysiaque, La Peau de chagrin fait partie de mes livres fétiches, adorés, que je relis très souvent. J’ai choisi Balzac et La Peau de chagrin comme prologue à Palingenesia car j’ai été particulièrement marqué par la scène du Banquet qui se trouve à la fin de la première partie de l’ouvrage. On y voit Emile célébrant le jeune Raphaël Valentin qui débarque de sa Province. Face aux convives du Banquet baignant dans le jus de leur scepticisme, cyniques et désabusés, Emile va faire de Raphaël le Prince de la soirée, en créant de toutes pièces une origine à son ami, ce « jeune inconnu » perdu dans un « tourbillon de plaisirs », qu’il va « couronner » en décrivant un simple cercle dans l’air : « « Raphaël DE Valentin !… S’il vous plaît. Nous ne sommes pas un enfant trouvé ; mais le descendant de l’empereur Valens, souche des Valentinois, fondateur des villes de Valence en Espagne et en France, héritier légitime de l’empire d’Orient »… Et il décrivit en l’air, avec sa fourchette, une couronne au-dessus de la tête de Raphaël. » J’ai souhaité mettre cette scène du « sacre » de Raphaël en ouverture de mon livre, afin de le placer sous le signe d’un retour à une origine mythique capable de vivifier l’avenir !

On trouve dans votre livre deux figures majeures, l’une appartient à la mythologie, Dionysos et l’autre à la philosophie, Hegel. Pouvez-vous donner quelques explications ?

Dionysos appartient fortement à la philosophie, à travers précisément les écrits de Hegel (La Phénoménologie de l’Esprit), mais aussi de Nietzsche (La Naissance de la Tragédie…). Dionysos est le dieu de l’excès, de l’ivresse, de la jubilation ! Ses Bacchantes nous invitent à faire renaître la Fête au cœur de la Cité, dérivent dans nos songes exaltés et brumeux, et nous convient à un sommeil réparateur, par-delà Bien et Mal !… Hegel, qui passe souvent pour un philosophe « austère » place son livre majeur, La Phénoménologie de l’Esprit, sous le signe de Dionysos, en définissant, dès sa préface, la vérité comme « un cortège dont pas un des membres n’est ivre »! Par cette allégeance à Dionysos, dont il tient la couronne de vignes entre ses mains, Hegel appartient à la mythologie.

Ce type de recherche vous permettrait ainsi d’unir deux attitudes de l’esprit, la spéculation conceptuelle et l’intuition poétique?

Je ne conçois pas de concept vidé de toute intuition. Peut-être est-ce un reste de kantisme… Dans tous les cas, le concept doit s’unir à l’intuition poétique s’il ne veut pas se perdre dans une abstraction vide de sens ! Le Concept doit embrasser la Magie contenue dans le verbe poétique. La Magie est le courage du Philosophe, pourrait-on dire… Et pas simplement du philosophe. L’errance poétique est fondamentale pour tout discours qui se veut créatif. En gardant cela en tête, nous pouvons nous écrier avec joie que l’errance précède l’essence !

Avez-vous d’autres travaux en cours? Des publications ? Un nouveau recueil peut-être, car rappelons-le vous êtes professeur de philosophie mais aussi et peut-être surtout, un poète ?

Je souhaite continuer à travailler avec le plus de constance possible, avec le plus de vins d’Ardèche aussi ! Mon prochain recueil de poésies sort en janvier ! … Plusieurs articles sont en cours d’écriture et verront le jour prochainement. Un ouvrage collectif sur l’Arcadie va également voir le jour !

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Extrait p.85

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Extrait p.47

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Palingenesia, une poétique de l’éternel retour, Guillaume Dreidemie, éditions Kimé, 2024.

Guillaume Dreidemie

Guillaume Dreidemie

Né à Lyon en 1993, Guillaume Dreidemie est professeur de philosophie. Conférencier à l'Université Pour Tous, au Collège International de Philosophie et au Musée des Beaux-Arts de Lyon, il collabore régulièrement avec la revue Matières à penser. Membre fondateur de la revue de poésie L'Écharde, il a publié un recueil de poèmes, Le Matin des Pierres, au printemps 2023 aux éditions La Rumeur libre. Ouvrage à paraître en novembre 2023 : Penser le monde. De Kant à aujourd'hui, éditions Kimé.

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    2 Commentaires

    • Pierre Hélène-Scande dit :

      Le Trésor de la Langue Française Informatisé nous apprend que la palingénésie est :
      A
      un retour à la vie, une renaissance qui est en même temps une régénération;
      et par analogie, la transformation profonde et salutaire d’un individu ou d’un groupe d’individus qui s’apparente à une totale renaissance;
      B
      une doctrine selon laquelle l’histoire des peuples est la reproduction d’une même suite de révolutions dont la succession tend à réaliser une fin générale et providentielle de l’humanité ;
      et par métonymie, un ouvrage exprimant cette doctrine.

    • Laure-Anne dit :

      Sans vouloir du tout faire de mauvais esprit, mais par quête de clarté, je m’interroge sur deux points :
      – comment un cortège dont pas un des membres n’est ivre peut-il encore être mis sous le signe de Dionysos? J’y vois plutôt une pompe canonique…
      – La belle scène du banquet de Raphael couronné par une fourchette, presque des épines, un ecce homo, a son pendant au banquet, dionysiaque, lui, du dénouement où la peau de chagrin qui s’anéantit signe la mort du jeune homme, une mort de consomption absolue. J’adore aussi ce roman, mais je ne vois guère là la possibilité d’un renouveau cyclique… ce me semble un point à la ligne fin de l’histoire, plutôt que la possibilité d’une renaissance …car si le vieil antiquaire du début a en quelque manière passé le relais à Raphael, on ne voit pas qui prendra la suite…
      Je suppose qu’il faut que je lise Palingenesiapour avoir mes réponses, mais en attendant, quelques pistes…?
      Merci

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