« n°216 : Danger dans la voix.
Avec une voix très forte dans le gosier, on est presque hors d’état de penser des choses fines. » (Troisième livre)
« n°218 : Mon antipathie.
Je n’aime pas les hommes qui, pour faire de l’effet, doivent exploser comme des bombes, et à proximité desquels on est toujours exposé au danger de perdre brusquement l’ouïe – voire plus encore. » (Troisième livre)
Je trouve ce n°216 une remarque bien plus fine qu’il y paraît. Comme si de la puissance de sa voix (au propre, mais aussi au figuré) on inférait l’assurance d’avoir raison. Cette assurance est pourtant un obstacle à la pensée en général, et à la subtilité en particulier. Dans une conception quasi terroriste de la communication, on y va à plein gosier pour gueuler des balourdises, les balancer, comme des bombes en effet.
Faute de pouvoir produire dans le débat des arguments, dont on se sait incapable d’affiner l’articulation. Vaincre plutôt que convaincre : le mantra de l’impuissance éthique.
En outre, dans le n°218 j’entends pour ma part comme un écho de l’angoisse enfantine devant l’adulte (maître, père …) qui fait la grosse voix.
« n°220 : Sacrifice.
Les animaux sacrifiés ont un avis différent des spectateurs sur le sacrifice et l’immolation : mais on ne les a jamais laissés s’exprimer. » (Troisième livre)
C’est vrai. Mais réjouissons-nous, avec les humains qu’on sacrifie c’est mieux : par la menace ou l’aliénation, on peut les faire adhérer à l’avis de leurs immolateurs. (cf 9/20)
« n°224 : Critique des animaux.
Je crains que les animaux ne considèrent l’homme comme un de leurs semblables qui a perdu le bon sens animal de manière extrêmement dangereuse, comme l’animal délirant, comme l’animal rieur, comme l’animal pleurnichard, comme l’animal malheureux. » (Troisième livre)
Eh bien figurez-vous Friedrich, moi je préfère rire, pleurer (allez pleurnicher OK), je préfère penser, me poser des questions, imaginer (allez délirer OK), plutôt que rester cantonnée à ce que vous appelez bon sens animal, c’est à dire le téléguidage dans les voies balisées de l’instinct et de la répétition. Et tout indique que vous aussi, je crains. La preuve ?
« n°225 : Les naturels.
‘Le mal s’est toujours assuré le grand effet ! Et la nature est le mal ! Donc, soyons naturels !’ – voilà comment raisonnent secrètement les grands chercheurs d’effet de l’humanité, que l’on a bien trop souvent mis au nombre des grands hommes.» (Troisième livre)
Raisonnement secret ? Secret de Polichinelle, alors : car l’argument « c’est naturel, c’est la nature, la pulsion, l’instinct » s’exhibe plutôt sans vergogne chez le prédateur. Le discours du prédateur étayé sur ces effets d’humanité qu’on appelle le mensonge, l’hypocrisie et la mauvaise foi.
Humain, trop humain …
Illustration Johnnyjohnson 20430 (Pixabay)