« Vocation de poète

(…) Petites sentences tordues, précipitées,

Petits mots saouls, comme on se presse !

(…) Te moques-tu, oiseau ? Veux-tu rire ?

Si ma tête déjà va mal,

Serait-ce pire pour mon cœur ?

Crains, crains ma colère !

Mais le poète – tresse des rimes

Tant bien que mal, même en colère »

(Appendice : chansons du prince Vogelfrei)

Commencé dans la poésie du prélude en rimes allemandes le livre s’achève par celle des chansons du prince Vogelfrei. Joli nom que celui de ce prince, qui peut se traduire par « libre comme l’oiseau ».

Et réconfortante définition de la poésie, comme ce qui va son chemin de création dans tous les climats psychiques. Et par là amène à une réconfortante conception de la vie humaine, qui se tresse au fil du temps, tant bien que mal.

« Sils-Maria

J’étais assis à attendre, à attendre, – sans rien attendre,

Par-delà bien et mal, jouissant tantôt de la lumière,

Tantôt de l’ombre, tout jeu seulement,

Tout lac, tout midi, tout temps sans but.

Et soudain, amie ! Un devint Deux –

Et Zarathoustra passa devant moi. »

(Appendice : chansons du prince Vogelfrei)

L’écriture du Zarathoustra fut probablement commencée durant celle du Gai savoir. Ces deux œuvres sont de conception jumelle, nombre de thématiques renvoient de l’une à l’autre. Simplement chacune se façonne, prend forme, selon sa modalité propre.

Quant à ce poème de suspension du temps, du faire-corps avec le monde … Tout lac tout midi tout temps sans but : magique, non ?

« Au mistral (chanson à danser)

Vent mistral, chasseur de nuages,

Tueur de chagrin, nettoyeur du ciel,

Mugissant, que je t’aime !

Ne sommes-nous pas tous deux d’un unique sein

Les prémices, à un unique sort

Prédestinés éternellement ?

(…) Danse à présent sur mille dos,

Dos des vagues, ruse des vagues –

Salut, qui crée de nouvelles danses !

Dansons donc de mille manières,

Libre – soit appelé notre art,

Gai – notre savoir !

(…) Et pour qu’éternelle soit la mémoire

D’un bonheur tel, recueille son legs,

Emporte la couronne dans les hauteurs !

Lance-la plus haut, plus loin, plus loin encore,

Vole jusqu’en haut de l’échelle des cieux,

Accroche-la – aux étoiles ! »

(Appendice : chansons du prince Vogelfrei)

Cette fin littéralement en apothéose peut évoquer beaucoup de choses, d’images (surtout pour des Provençaux familiers du mistral).

Avant de laisser le lecteur, la lectrice, à leurs évocations personnelles, je pose le parallèle qui me vient entre ces mots de Nietzsche :

« Nous avons besoin de tout un art insolent, planant dans les airs, dansant, moqueur, enfantin et bienheureux, pour ne pas perdre cette liberté qui se tient au-dessus des choses que notre idéal exige de nous. » (Troisième livre cf 7/20)

et ceux-ci :

« J’ai tendu des cordes de clocher à clocher

des guirlandes de fenêtre à fenêtre

des chaînes d’or d’étoile à étoile

et je danse »

(Arthur Rimbaud. Phrases)

Illustration Johnnyjohnson 20430 (Pixabay)

2 Commentaires

  • Laure-Anne dit :

    Oui c’est un bonheur que de lire et de se laisser emporter par ce souffle!
    Nietzsche aurait-il dû être plus souvent poète?
    Oui la fraternité (ou paternité) avec Rimbaud s’impose…
    Merci pour ce beau parcours!

    • Ariane dit :

      Merci à toi ô lectrice attentive et subtile ! En fait quand je lis Nietzsche, certes je m’efforce d’apprendre, sinon à aimer, du moins à entendre tout ce qu’il dit, et à y réfléchir. Mais si je reviens régulièrement à lui, c’est surtout pour me ressourcer à sa lumière, si émouvante d’être gagnée sur tant de nuit (avant hélas que la nuit n’ait raison de lui).

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