… que les soirées Salut bonsoir…et quoi entre les deux ?
On est invité à un pot où l’on ne connaît pas grand monde, personne même après avoir tendu le cou en tous sens, à part l’heureux invitateur, un type sympa rencontré il y a peu chez un autre quelqu’un au cours d’une soirée, et qui pour on ne sait quelle raison nous a dit de passer, ici même, à cette heure plus ou moins, dans ce qui a tout l’air d’un capharnaüm proche de l’apocalypse. Salut, euh, pose ton matos, euh, c’est par là, euh. Tu fais comme at home euh.
La table est hyper garnie, colorée comme chez Disney, appétissante, inaccessible, toutes les abeilles affamées, en grappes la butinent, vrombissant leurs mots hors de bouches pleines, le rythme de la déglutition, de l’absorption, solide ou liquide, marque un tempo furieux.
Les tonneaux en carton sont percés, les petits fûts en verre, alignés. La meute s’y rue, verre en main. Main verre bouche, bouche verre main, jusqu’à plus rien.
Salut, tu fais quoi, ah oui. Non, je vois pas. C’est cool, ah ouais, bon plan.
Blanc, rosé, ambré. Des bulles ultra légères, du costaud, cinquante degrés, des mélanges colorés.
Tu connais, t’as vu, magnifique, tu me donnes ton 06, capture d’écran, capture de tout. Au mieux de l’intimité et des excitants on se rapproche, on s’approche, on se colle, on se dilue en corps indistincts.
La forêt bruit fort, musique ou quoi, son c’est sûr.
Regards qui vacillent, joints qui embaument l’habitacle d’un on ne sait quoi d’oriental, mi encens, mi bois brûlé, allers-retours toilettes, toutes nécessités font loi, yeux vitreux, intentions inaudibles, quoi ? Non rien, c’est bon. T’as tout compris. Quoi ? Tu veux dire que. Non rien, c’est bon.
Bon, ben j’y vais maintenant, me dis-je à moi seul, car personne ne m’entend vu que je parle seul, à moi seul, au pays des désormais zombies d’après le happy hours et d’avant l’after.
L’air frais me ravigote, le bruit de mes pas aussi.
Bonsoir, me dis-je.
Je me réponds de même.
Belle efficacité dans ce short-cut d’une soirée creuse et forcément trop longue. Qui n’a connu de ces moments qui auraient pu ouvrir à la grâce d’une rencontre, mais donnent seulement la comédie de cache-cache inanes et solitaires. Tout est prévu pour une fête réussie, de quoi mettre au surmoi de bons coups de pied aux fesses, autoriser un peu plus de confiance en l’humain et en soi. Mais… la fête ne commence que si pulsion de vie, autorisation à la joie, recueil de possible beauté, faim du visage de l’autre, auxquelles ne suffisent pas le decorum et les adjuvants chimiques de plus ou moins bonne qualité. Divertissement, misère de l’homme sans l’autre comment qu’on l’appelle, les rues solitaires sont en effet finalement désirables, car elles font regarder en face tout ce vide, sonner le creux des pas et décanter toutes les lies.
Pourquoi donc ton narrateur est-il masculin pour cette anatomie d’une déception ?