MANIFESTE POUR LA DIFFÉRENCE
Ce qui suit est mon manifeste.
Il parle de moi, mais il ne traite pas de moi. Enfin ce n’est pas l’idée.
Il traite de différence. D’altérité. Principalement.
Je ne pensais jamais pouvoir rédiger un manifeste. J’ai du mal à terminer les choses, et il m’avait toujours semblé qu’un manifeste c’était le comble du «terminé ». Mais voilà, ce qui suit a germé et maintenant je me rends compte qu’un manifeste c’est pouvoir mettre des mots sur ce que l’on fait et qui on est plutôt que savoir où l’on va terminer.
En 2010 je me sentais différente,
En 2020 je vis différemment.
La différence c’est un sujet délicat, je le sais. C’est quelque chose que tout le monde semble ressentir à tel point que personne ne l’incarnerait vraiment. La mienne ne serait pas la tienne et inversement, et donc nous nous tiendrions côte à côte, sur une même marche. Mais quand tu étais la seule gamine de l’école en pantalon de velours, quand tu es la dernière à ramasser les ultimes fanes de carotte du festival anti-gaspi, quand tu es la seule personne à ne jamais faire du yoga sur le quai de la gare, ou la seule du cours d’espagnol à être motivée par l’espagnol, peut-être que les statistiques peuvent t’autoriser à parler en son nom. Ne serait-ce que pour quelqu’un le fasse.
Je ne possède pas de soutif. J’aime mes colocs. Vraiment. Nous n’utilisons pas de chaises. Je ne crois pas aux vêtements de sport. Je ne mange que ce qui est de saison. Enfin j’essaye. Je m’assois en tailleur sur les chaises quand il me faut bien y recourir, même dans les endroits chics. Je trouve que c’est plus chic de se tenir bien droite, les pieds loin du sol, qu’affalée, en solide contact avec lui.
Parfois, j’ai les ongles sales. En ce moment, l’ongle de mon majeur droit est cerné de noir, parce que l’autre jour j’écrivais à la plume. Ça m’amuse de penser que mes doigts portent les mêmes taches pour les mêmes raisons que Shakespeare, il y a 500 ans. Je pourrais aussi me comparer au pire des cancres des années 50, mais bon, Shakespeare c’est quand même plus la classe. Mais en vrai, les bics c’est bien mieux que les plumes. Les bics, ça ne salit que des trucs un peu abstrait, un peu lointains… La mer, des poissons, des sols… Pas les ongles. C’est important, les ongles propres.
Quand je n’écris pas avec une plume, j’écris le plus souvent avec le stylo-plume de mon grand-père. Il tache aussi un peu, mais moins.
Je ne me rappelle même pas quand j’ai acheté un outil d’écriture neuf pour la dernière fois. D’ailleurs, j’ai de plus en plus de mal à comprendre le besoin d’acheter quoi que ce soit de neuf… Je n’ai jamais été grande acheteuse, mais depuis que j’ai mis le pied dans le secteur de la seconde main j’ai vraiment compris qu’on avait de quoi tenir dix ans sans rien produire, ou presque. Et encore, dix ans, c’est gentil.
J’aime les vêtements vintage, et les survêtements, et tout l’entre-deux. J’aime les chaussures à cinq doigts et les sandales maison.
Elles m’emmènent en voyage avec des gens que je connais à peine, et je termine l’année dans l’obscurité à leur côté. (Au côté de la personne, pas de la sandale. Quand même.)