La cigale ayant chanté/ Tout l’été …

Cigale gaie comme un pinson, jouissant sans souci du présent. Fourmi raisonnable, s’affairant en vue de son avenir. L’une chante et l’autre pas, l’une est adepte exclusive du principe de plaisir, l’autre du principe de réalité. Ce qui prouve qu’aucune des deux n’est au fait de la pensée freudienne, ignorant que le principe de réalité est la continuation du principe de plaisir.

En fait l’attitude de ces bestioles comme la nôtre est simplement question de caractère. Confiance ou défiance, optimisme ou pessimisme, aptitude à se laisser vivre et au farniente, ou impossibilité de se sentir bien si on n’a pas toujours quelque chose à faire.

La zénitude de la cigale doit être reposante. Je l’envie. J’aimerais bien savoir chanter aussi. Quoique. Le bruit produit par une cigale est-il un chant ? Scie musicale serait plus exact. Crincrin continu. Répétition obsessionnelle. Chanter ainsi est-il un plaisir ou un pensum ? Trop d’ad libitum tue le libitum. Bref au bout d’un moment je suis sûre que la cigale s’emmerde.

Alors que la fourmi non. La fourmi n’a pas le temps de s’écouter. Elle bosse, elle. Allers-retours non stop de la fourmilière à la zone de ravitaillement. Une répétition aussi. Sauf que la répétition en mode fourmilier est silencieuse, occasionne moins de gêne au voisinage humain tentant de faire la sieste. Quoique. La fourmi produit des sons ai-je entendu dire, fort heureusement inaudibles à nos oreilles. Et quoique bis : les fourmis ça pique (à tout le moins ça chatouille ou ça grattouille). Bref la vraie question est de trouver le bon cagnard où lézarder à l’abri de tout insecte quel qu’il soit.

On dit : La Fontaine s’identifie à la cigale et en profite l’air de rien pour rappeler à ses protecteurs qu’il n’a pas encore touché son semestre. Je trouve qu’il fait aussi passer le message comme quoi être fourmi c’est pas si bête. Histoire précisément de n’avoir à dépendre de quiconque. Et de pouvoir se payer le luxe de l’insolence envers cette pauvre cigale.

Fait rare dans le recueil, cette fable inaugurale ne formule pas de morale, l’auteur ne tranche pas entre les deux comportements : c’est que comme quiconque a tenté de produire une quelconque création, La Fontaine sait bien que pour cela il faut être en même temps cigale et fourmi.

La fable intitulée La besace (livre I,7) ne parle pas, comme ce titre pourrait le laisser supposer, de la nécessité d’y mettre quelques réserves et autres vivres pour subsister jusqu’à la saison prochaine. Jupiter s’adresse à tout ce qui respire : si dans son composé quelqu’un trouve à redire, il entreprendra la réforme nécessaire. Au sens propre, il changera la forme de l’animal. Une sorte de chirurgie esthétique, à la foudre plutôt qu’au laser (moins précis mais plus radical).

Venez, singe, parlez le premier, et pour cause. Et pour cause : vexant, non ? Ça a l’air de dire toi mon pote t’es vraiment un phénix de la mochitude. (C’est pas question esthétique, mais j’avoue ressentir un certain malaise face à un singe. Encore un coup de l’unheimlich sans doute : si proche et si autre, le singe produit en moi une sensation de familiarité dissonante) (mais c’est pas le sujet).

Le singe répond « pas de problème moi ça va mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché. Mais t’as vu l’ours alors le pauvre ! J’aimerais trop pas être lui, genre mal dégrossi gros bourrin. »

L’ours ? Il se trouve très bien. « Mais alors l’éléphant misère ! Une masse informe et sans beauté. »

Après quoi l’éléphant trouve la baleine trop grosse, et la fourmi le ciron (microbe version 17°s) trop minus.

Bref, enchaîne le narrateur, tout ça pour dire que chez nous les humains ça marche de même, lynx envers nos pareils et taupes envers nous. Pourquoi ? Nous sommes des besaciers à deux poches : pour nos défauts la poche de derrière, (qu’on ne voit donc jamais – sauf dans le miroir que tend la fable) et celle de devant pour les défauts d’autrui. Voilà pour la morale. Ça casse pas trois pattes à un canard on est d’accord.

Mais l’intérêt de cette fable réside dans le joli cadeau à notre imaginaire enfantin. Le texte, avec toute la brillance de plume qui caractérise JLF, semble jouer à tortiller une baudruche pour lui donner différentes formes. Du singe à l’ours, de l’ours à l’éléphant, de l’éléphant à la baleine, de la baleine à la fourmi.

Jeu de la baudruche évolutive m’évoquant une métaphore assez semblable chez Montaigne : « Notre monde n’est formé qu’à l’ostentation : les hommes ne s’enflent que de vent, et se manient à bonds, comme les ballons. » Essais III,12 (De la physionomie)

Image par Peter H de Pixabay

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