Relisant Le pot de terre et le pot de fer (livre V,2) je m’aperçois (comment l’avais-je oublié?) que les deux pots en question ne sont pas ennemis, ni en quelconque rivalité, mais au contraire bien copains.

Il est vrai je ne suis pas la seule à me méprendre. C’est le pot de terre contre le pot de fer : le genre de choses qu’on dit par exemple à propos du combat inégal d’une association de consommateurs contre telle malversation commerciale. (Que l’on dit souvent, donc).

Cependant le fait que les pots soient amis déplace l’intérêt de la sociologie à la psychologie, et éclaire cette fable d’un jour bien plus tragique au fond. Après Nietzsche la dernière fois, je m’en vais récidiver dans le radotage avec Schopenhauer. (Mais qu’y puis-je si JLF et moi nous avons décidément les mêmes références ?)

Cette fable c’est l’apologue des porcs-épics, mais en plus brutal. Étonnant, non ? La Fontaine perruque grand siècle, légèreté, élégance, brillance et ironie. Schopenhauer cheveu gras romantique, spleen, mine blafarde, noir bon teint … Et voilà que le plus pessimiste des deux n’est pas celui qu’on croit.

Bref, comme les porcs-épics, les pots cherchent à se rapprocher. Mais contrairement à deux porcs-épics qui ont des défenses semblables, nos deux pots sont inégaux sur le plan de la sensibilité. Le pot de fer n’est pas méchant, mais il est d’un métal qui lui permet de tenir le choc en maintes circonstances. Si bien qu’il ne peut même pas concevoir que le pot de terre Il lui fallait si peu,/Si peu, que la moindre chose/De son débris serait cause.

Le pot de terre se laisse cependant entraîner dans un voyage avec l’autre, malgré son appréhension. Si quelque matière dure/Vous menace d’aventure,/Entre deux je passerai,/Et du coup vous sauverai, qu’il dit le pot de fer.

Oui mais voilà L’un contre l’autre jetés/Au moindre hoquet (cahot) qu’ils treuvent, ils n’arrêtent pas de se heurter. Et crac ce qui devait arriver arriva.

Moralité ? Dans les rapports humains, et d’autant plus qu’ils sont proches, c’est toujours le plus sensible qui paye les pots cassés.

Moralité bis : à sa phobie le pot de terre aurait dû ajouter la paranoïa. Là il était blindé.

À ceux d’entre vous, lecteurices, qui par le plus grand des hasards seraient de ces hypersensibles écorchés-vifs semblables au pot de terre, voici de quoi penser et vous panser avec la fable intitulée Parole de Socrate (livre IV,17).

Socrate un jour faisant bâtir,/Chacun censurait son ouvrage. Ce dernier mot suggère le propos réel de La Fontaine derrière le récit. La baraque à Socrate il en a rien à cirer. Pour Phèdre chez qui il a trouvé l’histoire je ne sais pas, mais pour lui l’ouvrage en question c’est son œuvre, ses écrits, en butte à toutes sortes de remarques plus ou moins pertinentes (cf 3/12).

C’est logique : les critiques qui vous atteignent ne peuvent être que celles qui portent sur vos lieux d’investissement. Je ne parle pas d’investissement immobilier mais bien d’investissement psychique.

En l’occurrence les critiques sur la maison de Socrate sont ambiguës. « Chacun » débine certes, mais avec un argument béton possiblement positif : dans tous ses aspects la maison est indigne d’un tel personnage.

Ambiguïté = verre à moitié vide ou à moitié plein. Socrate a alors le choix de son interprétation. Verre à moitié vide : ta maison est un trou à rat, mon pauvre Socrate ! Verre à moitié plein : une maison si petite ne correspond pas à ton standing. N’oublie pas que t’es en première place dans le who’s who des philosophes.

Philosophe et pas moins psychologue, habile à accoucher la vérité, Socrate détecte derrière le compliment de façade le vice caché. Lequel ? Jalousie, bêtise, conformisme ?

La maison est petite, c’est exact. C’est qu’elle est destinée à recevoir des vrais amis. Et vous savez quoi ? Côté petitesse et étroitesse, la maison elle est pas la seule, chers amis. Du coup pour des gens comme vous elle est encore bien trop grande. (Quand il s’y met Socrate il a pas peur de balancer).

Quant à La Fontaine, y a des jours il est un peu amer.

Le bon Socrate avec raison/De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.

Chacun se dit ami ; mais fou qui s’y repose :/Rien n’est plus commun que ce nom, /Rien n’est plus rare que la chose.

Image par Jeffrey Bonto de Pixabay

2 Commentaires

  • Jean-Marie dit :

    Accélérons sans vergogne le mouvement de cet apologue qui va clopin-clopant et nous voilà dans « Le Fanfaron » de D. Risi : Bruno Pot-de-Fer vient déterrer Roberto L’Empoté et l’embarque sous sa funeste protection, dans sa décapotable conduite plein pot et bientôt réduite en compote …
    Après l’échappée des pot(e)s, les pots d’échappement…
    Pas de pot pour A. Schopenhauer : il ne pouvait pas ignorer, quand il conçoit en 1851 sa parabole des porcs-épics frileux, l’existence irréfutable de Sphiggurus Insidiosus, alias « porc-épic laineux » … : parabole mise en éclats comme un vulgaire pot au lait…?

    • Ariane Beth dit :

      J’incline à penser pour ma part que Schopenhauer ignorait l’existence du Sphiggurus Insidiosus : sans me vanter je l’ignorais moi-même, et quelque chose me dit qu’il n’était guère plus porcépicologue que moi (j’ai au moins un point commun avec le grand homme …). Cela dit, cette info ne manque pas de suggérer un nouveau sujet de fable : « le loup et le porc-épic laineux ». Ce dernier s’en tirerait-il mieux que ce pauvre agneau ? Le loup oserait-il s’attaquer à lui, sachant qu’il a pour frère (ou cousin ?) le porc-épic épineux , qui pourrait lui rester en travers de la gorge ?
      Quant au pot au lait, nous le rencontrerons bien sûr : ce sera au n°9 de ce parcours (tant pis je spoile).

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