« On apprend plus dans une nuit blanche que dans une année de sommeil. Autant dire que le passage à tabac est autrement instructif que la sieste. » Cioran (Aveux et anathèmes)
En fait cette affirmation est vraiment discutable (loi fréquente de l’aphorisme, sacrifier la justesse à l’effet). On pourrait dire plutôt que le passage à tabac et la sieste sont aussi instructifs l’un que l’autre, mais qu’on y apprend des choses différentes.
Quoique. Un point commun : la perte de maîtrise.
« Quiconque est passé par une épreuve regarde de haut ceux qui n’ont pas eu à la subir. L’insupportable infatuation des opérés … »
Mais comme tout le monde a plus ou moins sa cicatrice, visible ou pas, à l’arrivée chacun trouvera sa raison de toiser l’autre.
Quant aux opérés on n’a pas fréquenté les mêmes apparemment. Pour ma part au contraire j’ai admiré chez ceux que je connais une digne et élégante absence de frime.
« Pendant que mon dentiste défonçait mes mâchoires, je me disais que le Temps était l’unique sujet sur lequel méditer, que c’était à cause de Lui que je me trouvais sur cette chaise fatale et que tout craquait, y compris ce qui me restait de dents. »
C’est juste, le temps c’est l’entropie. Cette phrase me fait penser à une horrible séquence d’un film des années 70, Marathon man) (ça nous rajeunit pas) (décidément le temps …) Et puis, plus sympa, elle m’évoque Le Testament de Brassens j’ai quitté la vie sans rancune j’aurai plus jamais mal aux dents me v’là dans la fosse commune la fosse commune du temps
« Impossible de dialoguer avec la douleur physique. »
Terriblement vrai. L’avantage de la douleur morale, c’est qu’avec elle il y a toujours moyen de trouver à redire.
« Ce n’est pas par le génie, c’est par la souffrance, par elle seule, qu’on cesse d’être une marionnette. »
Idiot. On restera marionnette si on l’est. Et si on ne l’est pas au départ, la souffrance nous fera marionnette, jouet du destin. Et dans les pires cas, jouet du sadisme d’autres « humains ».
Et surtout, à partir d’une certaine intensité et/ou durée, la souffrance finira par casser la pauvre marionnette. Il le dit d’ailleurs : « Plus on a souffert, moins on revendique. Protester est signe qu’on n’a traversé aucun enfer. »
photo Marion (Pixabay)
APAISEMENT
« Longtemps je me suis couché…dans le temps. »
Incipit et derniers mots de l’œuvre de Marcel Proust
Apaisement
… « à sentir le calme et la lenteur de communications et d’échanges qui règnent dans la petite cité intérieure de nerfs et de vaisseaux que je porte en moi »
Apaisement
de recueillir les paroles écrites par un être sujet à de terribles crises d’étouffement qui le font « râler », lui ôtant « toute possibilité de parler »
Apaisement
quand retrouvant son souffle, l’écrivain fait « mille danses et gesticulations, chante avec joie des mots qui n’ont rien d’heureux »
Apaisement
de passer tant d’heures à me perdre dans des phrases multipliant les possibilités de nouvelles vies « que nous devrions vivre »
citations M.P. extraits de « Contre Sainte-Beuve »
Merci pour ce contrepoint fort éclairant sur la force de création qui peut traverser la souffrance. Cela fait écho pour moi à la même force chez Montaigne, dont je relis en ce moment quelques pages encore dans mon blog.
Peut-être la souffrance coupe les fils de la marionnette, comme quand on est chassé de l’éden ; on est à l’os animal de l’humanité, sans recours souvent jusqu’à l’ultime absence de recours.
Comme la « besogne » pascalienne, et l’éternuement ?
Des espèces de dernières chances de chercher éperdument la joie sauce Spinoza, peut-être…
Oui peut être y a t il quelque chose comme ça, le fil coupé, l’animal trouve sa force d’animal.
« Chercher éperdument la joie » : avec Spinoza oui , avec Montaigne aussi qui a su y faire (comme je le radote ci-dessus). Et aussi avec quelqu’une dont je causerai bientôt.