« Devenir le spectateur de sa propre existence, c’est échapper aux souffrances de la vie. » Oscar Wilde (Le portrait de Dorian Gray)
Seulement la question est de ne pas se détacher au point de s’abstraire. Ces gens sur qui tout glisse, avec qui la relation est comme ouatée, sont aussi angoissants pour moi que le silence et l’immobilité d’un paysage emprisonné par la neige.
Je n’entends pas ainsi la phrase d’Oscar, mais comme la prise de distance avec soi qui permet la bonne mise au point du regard.
« Je ne m’aime pas avec si peu de discernement que je ne puisse me considérer à quartier, comme un voisin, comme un arbre » dit Montaigne (Essais III,8 De l’art de conférer).
Mais un arbre où circule une sève printanière, pas une bûche. « Il n’a pas voulu se faire pierre ou souche, il a voulu se faire homme vivant » dit-il à propos de Pyrrhon le philosophe sceptique (Essais II,12 Apologie de Raimond Sebon).
Sceptique oui, blasé ou indifférent non. Le mot skeptikos signifie observateur. Tel le spectateur de Wilde, il se situe à la bonne distance du monde et des autres. Suffisamment près pour voir la réalité dans sa complexité (parfois sa brutalité), pour comprendre, être capable d’empathie. Mais sans se laisser phagocyter pour autant. En échappant à ce que la compassion (pour soi ou l’autre) peut cacher de complaisance morbide.
« Je puis compatir à tout, sauf à la souffrance. Pour elle, je n’ai aucune compassion. Elle est trop laide, trop horrible, trop bouleversante. Il y a quelque chose d’affreusement morbide dans cette manie qui sévit aujourd’hui de s’identifier à la douleur. On devrait s’identifier à la couleur de la vie, à sa beauté, à sa joie. Moins on parle de ses plaies, mieux on se porte. » (Le portrait de Dorian Gray)
Dans la volonté de détourner la fascination qu’exerce le mal sur l’être humain, dans la volonté de soulager la douleur, plutôt que de s’entraîner chichement à lui résister, l’élan de beauté est vital, je suis bien d’accord.
C’est en maintenant sa force d’aspiration au bonheur devant la souffrance, force d’aspiration qui est vision de beauté sur notre vie, que la souffrance d’autrui diminue, et non quand on plaint celle-ci amèrement avec lui.
Texte important par ces temps où le bonheur a si mauvaise presse 😉
Marie Bal
Merci de ce retour, Marie. La beauté, oui. Essentielle pour Wilde, ce que j’appelle son « éthique du dandy », une philosophie plus profonde et plus humble qu’il n’y paraît sous le brio affiché.
Oui, je me souviens de « De profondis » où il écrit que la superficialité est le plus grand vice. Merci pour ces beaux rappels.
La souffrance est laide mais pas les gens qui souffrent, qui ont besoin de nous pour se voir beaux et en couleur, même si parfois elle est un écran impénétrable à la beauté du monde, à la vivacité de l’amitié, tant elle est saignante, pas balayable d’un revers, pas invisible…. Difficile de ne pas souffrir de voir souffrir, surtout qui on aime, mais c’est un combat pour la vie et on ne le lâchera pas!
Oui, bien vrai : ce ne sont pas les gens qui souffrent qui sont laids, mais la souffrance, et la méchanceté qui les atteint. Et oui, un dur combat que celui de résister avec eux à cette atteinte. Je n’en ai pas toujours assez la force, c’est pourquoi j’ai aimé qu’Oscar m’y encourage.