« Parmi ses écrits qui n’ont point été imprimés, un traité de l’Iris ou de l’Arc-en-ciel. Je connais à La Haye des personnes distinguées qui ont vu et lu cet ouvrage, mais n’ont pas conseillé à Spinoza de le donner au public ; ce qui peut être lui fit de la peine et le fit résoudre à jeter cet écrit au feu six mois avant sa mort » nous informe Colerus.
Dommage. Surtout que l’arc-en-ciel, ça c’est vraiment lui.
Il pense arc-en-ciel, par diffraction, selon le mode analytique caractéristique du caractère obsessionnel (dixit Freud). Ex. l’époustouflante combinatoire des paramètres d’affects dans la part.3 d’Éthique. Ce qui n’empêche pas dans son cas une vision intuitive.
Ce qui peut être lui fit de la peine amène une remarque.
Dans les définitions et propositions d’Éthique, Spinoza déroule son raisonnement avec une impassibilité bien géométrique. Mais dans scolies*, introductions et appendices** qu’il y adjoint, il lui arrive de se lâcher, voire de régler quelques comptes personnels.
Souvent sur un ton ironique : » Parce qu’il peut se faire que la joie dont quelqu’un imagine (se représente) affecter les autres soit purement imaginaire (inventée) (…) il peut aisément se faire que (…) l’orgueilleux imagine être agréable à tous alors qu’il est pénible à tous. » (scolie prop.30 part.3)
On sent le vécu …
Parfois c’est une désarmante impertinence. A propos du pouvoir de l’esprit sur les affects, Descartes « n’a rien montré d’autre que la pénétration de son grand esprit. » (Intro part.3)
D’autres fois le ton se fait désabusé : » il appert (il est évident) que les hommes sont bien plus disposés à la vengeance qu’à rendre un bienfait. » (scolie prop.41 part.3)
Parfois c’est même l’amertume, et jusqu’à ce passage étonnant : » Qui en effet imagine une femme qu’il aime se prostituant à un autre, non seulement sera attristé de ce que son propre appétit se trouve réprimé, mais encore, parce qu’il est contraint de joindre l’image de la chose aimée aux parties honteuses et aux excrétions de l’autre, il l’a en aversion. » (scolie prop.35 part.3)
Dérangeant, non ?
Car Spinoza est comme tout le monde, affecté de contradiction. Il peut s’ouvrir un accès à l’impassibilité, grâce à l’exercice de la puissance de l’esprit, ce mode où tout n’est qu’ordre et géométrie. Son esprit à lui étant particulièrement puissant, ça marche pas mal. Mais pour autant il ne cesse d’être passible de vulnérabilité.
Dualité affective induisant deux modes d’écriture et donc deux modes possibles de lecture pour l’Éthique.
L’une pas à pas dans l’ordre des propositions sans lâcher le fil de la logique abstraite. L’autre papillonnante au gré d’accroches affectives. Naturellement le but est d’avoir tout lu à l’arrivée, du moins si l’on veut vraiment comprendre.
Mais comme pour tout, le mieux est de s’y prendre à sa façon.
- Robert dit : scolie ou scholie n.fém et masc (mot accommodant, non ?)
1)fém : annotation philologique et historique due à un commentateur ancien, et servant à l’interprétation d’un texte
2)masc : remarque à propos d’un théorème ou d’une proposition (c’est donc çui-là dans Éthique. Quoique. Du 1 « y en a aussi » comme il se dit dans une immortelle séquence des Tontons flingueurs).
- Dans les appendices et introductions, de grands moments, où l’intelligence fulgurante du génie se combine au style d’un sacré polémiste. (Si après ça tu ne vas pas voir, lecteur-trice …)
Crédit Photo MLWatts — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46079100
C’est sûr, va vraiment falloir aller voir!
Parfois la generositas fatigue donc, mm chez Spinoza, et s’autorise un peu d’animositas cf commentaire sur Générosité; m’est avis qu’il en est conscient et se sert de ces observations pour alimenter et sa réflexion…et sa modestie qui m’apparaît au travers de sa discrétion.
Je rejoins tout à fait tes remarques. La soupape d’animositas pour mieux tenir sur la distance la generositas. Et puis en effet, il s’inclut dans ses observations, disons qu’il « s’admet », tout simplement.