Ariana (autre biographe de Spinoza) donne copie d’un papier retrouvé dans ses affaires.

D’après les lettres désignant les protagonistes de ce dialogue, elle émet une hypothèse : il s’agirait du compte-rendu que Spinoza écrivit de sa rencontre avec le Directeur de Recherche de Heidelberg (DRH), lui-même se désignant par P (philosophe).

Voilà un document à même de mieux expliquer qu’il n’ait finalement pas pris le poste proposé (cf  7/24)

DRH : Qu’est-ce que l’aliénation ?

P : La différence entre l’homme que mène seulement l’affect ou opinion et l’homme que mène la raison : celui-là, qu’il le veuille ou non, fait les actions dont il est ignorant au plus haut degré ; tandis que celui-ci ne se plie au désir de nul autre que lui, et ne fait que les actions qu’il sait dans la vie être premières, et que pour cette raison il désire au plus haut degré, et c’est pourquoi j’appelle celui-là esclave, et libre celui-ci. (scolie prop.66 part.4)

DRH : Ici on dit collaborateurs. Hum. Place de l’individu dans un ensemble ?

P : Si d’un individu, composé de plusieurs corps, certains corps se séparent, et qu’en même temps d’autres corps de même nature et en nombre égal viennent prendre sa place, l’individu gardera sa nature d’avant, sans changement de forme. (part.2 lemme 4)

DRH : Turn over dans le corporate. Destruction créatrice. Bien bien. Quelles sont vos ambitions ?

P : L’effort pour faire quelque chose ou s’en abstenir pour la seule raison de plaire aux hommes, s’appelle ambition. (scolie prop.29 part.3)

DRH : Vouivoui mais vos ambitions à vous ?

P : Qui s’emploie à maîtriser ses affects et ses appétits par seul amour de la liberté, en peu de temps il pourra diriger la plupart de ses actions sous l’empire de la raison. (scolie prop.10 part.5)

DRH : Ah oui quand même. Je vais être clair. Nos collaborateurs reçoivent en effet des actions de l’entreprise, mais quant à diriger …

P : L’homme libre qui vit parmi les ignorants s’emploie autant qu’il peut à décliner leurs bienfaits. (prop.70 part.4)

DRH : Euh… Vous le voulez le poste, oui ou non ? J’avoue ne plus trop m’y retrouver, là …

P : Cet état de l’esprit qui naît de deux affects contraires s’appelle un flottement d’âme, lequel, partant, est à l’affect ce qu’est le doute à l’imagination. (scolie prop.17 part.3)

DRH : Vraiment ? Figurez-vous que je n’aime pas les donneurs de leçon, mon ami. Mais alors pas du tout du tout. Je crains que dans ces conditions …

P : Qui s’emploie à triompher de la haine par l’amour tient tête avec autant de facilité à plusieurs hommes qu’à un seul, et n’a pas le moins du monde besoin du secours de la fortune. (scolie prop.46 part.4)

DRH : Ça tombe bien, parce que figurez-vous que nous allons nous passer de vos services. On ne vous écrira pas, Monsieur Spinoza.

Photo par MLWatts — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46079100

2 Commentaires

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Très drôle….j’aurais juste besoin d’un peu plus d’explications en contexte sur la scolie prop 17, 3… merci….

    • Ariane dit :

      La prop 17 dit « Si nous imaginons qu’une chose qui nous affecte habituellement d’un affect de tristesse a quelque ressemblance avec une autre qui nous affecte habituellement d’un affect de joie de grandeur égale, nous aurons cette chose en haine et en même temps nous l’aimerons. » Les mots importants sont « imaginons », « ressemblance », « en même temps ». Dans tout ce passage de la partie 3, Spin s’intéresse à la manière dont les affects se nouent les uns aux autres. Je résume (en m’autorisant à renvoyer à ma lecture de la Part.3 d’Ethique dans mon blog nov 2019) :

      1er fil : une circonstance réelle produit un affect de façon disons logique, genre je suis l’objet d’une injustice, je ressens de la colère envers l’auteur (présumé ou avéré) de l’injustice.
      2° fil : la simple imagination (= représentation, actualisation psychique) de la circonstance implique l’affect (genre j’ai peur que cette personne, ou une autre, soit à nouveau injuste envers moi)
      3° fil (cette prop 17) : une « chose » (circonstance et/ou personne) pas vraiment semblable, mais que j’assimile à celle de départ, provoque l’affect. Par ex j’ai peur d’une injustice de la part de qqun que j’en sais pourtant incapable par mon expérience et ma connaissance antérieure. D’où cette dissonance qu’il appelle flottement d’âme : j’ai peur tout en me demandant si « j’ai raison » d’avoir peur. La question est : qu’est-ce qui m’a fait raccrocher les 2 choses, faire l’assimilation. Là il faut aller chercher la suite du raisonnement chez Freud (et Lacan). Mais on va pas y aller tout de suite.

      Après en contexte pour la vie de Spin je pense qu’à propos de ce poste à Heidelberg, comme de beaucoup d’autres choses, le flottement d’âme ne lui a pas été étranger.

      Sinon sur ces histoires de lien imagination/pensée/affect il y aura des choses à l’entrée S comme … je vais laisser les lecteurs deviner.

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