« Spinosa n’eut pas plutôt publié quelques uns de ses ouvrages, qu’il se fit un grand nom dans le monde, parmi les personnes les plus distinguées, qui le regardaient comme un beau génie & un grand philosophe. » (Vie par Colerus)
Les personnes distinguées, qui donc sont-ce ? Ses pairs, savants et philosophes, ont certes perçu la valeur de Spinoza. Mais ici Colerus entend, la suite le montre, ce qu’aujourd’hui on nomme (dans une acception si discutable du mot) « élites ».
Gens de pouvoir, d’influence, mais sans toujours connaissances, talents, valeur humaine qui les justifieraient.
Le distingué en question est « Monsieur Stoupe Lt Colonel d’un régiment suisse au service du Roi de France (qui) commandoit dans Utrecht » et « avait d’autant plus envie de l’y attirer que le Prince de Condé qui prenait alors le gouvernement d’Utrecht, souhaitait fort de s’entretenir avec Spinosa. »
Le passage de Spinoza à Utrecht fut mal vu dans le port d’Amsterdam et du côté de la Haye, because alliances & allégeances plus embrouillées que ça tu meurs entre princes rivaux se disputant l’Europe.
En plus, dit Colerus, on n’est pas sûr qu’il ait vraiment parlé avec Condé. C’est ballot.
Après quoi « l’électeur palatin Charles Louis, de glorieuse mémoire, informé de la capacité de ce grand philosophe, voulut l’attirer à Heidelberg pour y enseigner la philosophie ». Il charge le « célèbre Docteur Fabricius, professeur en théologie bon philosophe et l’un de ses conseillers, d’en faire la proposition à Spinosa ».
Il pourra enseigner tout ce qu’il veut, sauf à aller « contre la religion établie par les lois ». Pour l’amadouer Fabricius le « régale du titre de Philosophe très célèbre & de génie transcendant. » Un truc qui marche toujours, qu’il se dit le courtisan d’élite.
Spinoza, lui, vit là « une mine qu’il éventa aisément. » Non merci, répondit-il, je suis surbooké, et puis enseigner, c’est pas ma pinte de bière …
«De plus je fais réflexion que vous ne me marquez point dans quelles bornes doit être renfermée cette liberté d’expliquer mes sentiments, pour ne point choquer la religion. »
Affûté, non ? L’arroseur arrosé en quelque sorte.
Moralité avec du miel on attrape les mouches, mais pas un spécialiste en stratégie de l’araignée. La connaissance des prédateurs fait la survie des proies.
À propos, la devise de Spinoza : caute (= faites attention ).
Il savait déjà se méfier des réseaux sociaux!