1 Chant des degrés. Je lève mes yeux vers les montagnes.
D’où viendra mon aide ?
2 Mon aide viendra de YHWH, qui fait les cieux et la terre.
3 Qu’il ne laisse pas chanceler ton pied ; qu’il ne sommeille pas, ton gardien.
4 Certes non, il ne sommeille ni ne dort, le gardien d’Israël.
5 YHWH est ton gardien, YHWH est ton ombre à ta main droite.
6 Au jour, le soleil ne te blessera pas, ni la lune dans la nuit.
7 YHWH te garde de tout mal, il garde ton être.
8 YHWH te garde quand tu sors et quand tu entres, dès maintenant et jusqu’a l’éternité.
Ce ps 121 est le deuxième de la série liturgique (120-134) dite montées (ou degrés). Ces psaumes étaient chantés en procession sur les marches (degrés) du lieu de culte.
Montées s’applique aussi au type de sacrifice (grec holocauste) où la victime était brûlée tout entière. Elle montait intégralement vers le dieu sous forme de fumée, si bien que ni les prêtres ni les participants n’en recevaient de part, comme dans d’autres sacrifices, qui tout autant (davantage?) qu’un acte de piété envers dieu, étaient une substantielle source de profit pour le clergé.
Le mouvement de bas en haut est en tous cas un invariant anthropologique. Qui n’aspire à s’élever de toutes les façons possibles et à tous les sens du terme ? Concrètement, on a tendance à se sentir mieux sur une hauteur, on y respire plus large, du fait peut être que le regard porte plus loin. D’ailleurs, le texte commence ainsi : je lève mes yeux vers les montagnes. Si quelque chose monte d’abord, dans ces montées, c’est le regard du poète.
Du bas vers le haut, c’est aussi l’ascension sociale, s’élever pour être plutôt celui qui commande que celui qui obéit. Quitte d’ailleurs à en écraser quelques uns au passage. En haut de l’échelle sociale, voit-on mieux ? Mais on est mieux vu, distingué (dirait Bourdieu).
Au plan éthique on parle parfois de tendances dites basses. Et du coup on conçoit le bien comme domination d’un haut sur un bas, et dans la foulée un divin Très-Haut.
Un dieu dans son ciel avec vue panoramique et imprenable sur tout, omniscient. Au-dessus du plus haut de l’échelle sociale, chef des chefs, maître absolu, omnipotent. Plus sublime que l’humain le plus éthique, pur de pur, omni-discriminant entre bien et mal.
En est-il ainsi dans ce texte ?
L’homme qui lève les yeux vers les montagnes n’est pas au sommet de la forme ni du moral. Une menace vitale lui fait lancer le SOS D’où viendra mon aide ? Une menace non précisée ici, contrairement à d’autres endroits. L’important est qu’elle va révéler en situation un visage de YHWH.
Il est caractérisé ici non par sa puissance, sa clairvoyance, son intelligence voire sa ruse, mais par le seul fait qu’il se tienne aux côtés de cet homme. Mot à mot mon aide d’avec YHWH (v.2). Pas dieu là-haut ou ailleurs mais compagnon ici, une présence, un être-avec. Cette présence relie les deux premiers versets.
Je lève les yeux vers les montagnes d’où viendra mon aide, mon aide qui viendra d’avec YHWH, faisant les ciels et la terre. Par la construction en chiasme, montagnes renvoie à cieux et terre. Leur ligne accroche le regard levé du poète pour lui rappeler son inclusion dans l’ensemble du monde créé. Sa solidarité (au sens physique, mécanique) avec ces choses qui tiennent depuis que le monde est monde, le ciel la terre avec ses montagnes. Choses solidaires elles-mêmes de la présence dont elles sont l’émanation.
Le développement du nom YHWH par la formule faisant les cieux et la terre est en effet un écho de la Genèse « Dans les commencements, YHWH était faisant les cieux et la terre. » Formule ambiguë : signifie-t-elle que YHWH agit de l’extérieur, ou qu’il forme une unité ontologique avec les cieux/terre (et tout le reste cf Gen 1). Spinoza on le sait prendra la seconde option avec son Deus sive natura.
Dans le ps 121 celui qui fait ciel et terre est là, de plain pied avec le poète. Il offre son bras de gardien comme appui au corps en marche, de même que la ligne des montagnes offre appui au regard. Un gardien qui ne dort pas : donc un veilleur, mieux un veillant.
En outre ton gardien est aussi gardien d’Israël (v.4). L’homme du psaume, posé d’emblée dans la création entière, l’humanité entière, est replacé dans l’appartenance intermédiaire, son appartenance de proximité. Les membres du peuple sont amenés à jouer les uns pour les autres le rôle du gardien, à en figurer l’incarnation. Et plus largement, à être maillons d’une chaîne de solidarité universelle.
Car on peut lire ici, entre autres choses, une invitation à revenir sur la fameuse interrogation dont Caïn a cru faire son alibi après le meurtre d’Abel.
Il est ton ombre à ta main droite (v.5). Ombre ou ombrage, qui matérialise la présence en tant que protectrice. Une idée souvent reprise dans le livre des admirations, moyennant diverses métaphores : le bouclier qui pare les coups de l’ennemi, la mère oiseau qui abrite ses oisillons sous son aile, la grotte où se cacher.
Quel que soit ici le propos du poète, pour ma part cette ombre me renvoie à l’histoire de Caïn et Abel. Le nom Abel est le mot du texte de l’Ecclésiaste traduit par « vanité ». Il signifie fumée, vapeur, nébulosité. Alors bon oui le mot ombre ici n’a pas la même racine (je dois à la vérité de le dire). Mais pour ma part j’y vois des connotations imaginaires proches.
Et surtout il y a donc ce fameux dialogue. Où est ton frère ? dit YHWH à Caïn après le meurtre. Suis-je le gardien de mon frère ? (Genèse 4, v.9)
Le gardien-ombre, je le mets en regard de l’Abel-fumée dont Caïn nie être le gardien. Caïn élimine le frère supposé lui faire de l’ombre, un autre-obstacle l’empêchant d’accéder à l’amour du dieu. C’est ici à l’inverse par son ombre protectrice que l’autre se manifeste, se faisant gardien.
On se souvient du signe que YHWH met sur Caïn pour empêcher qu’on le tue après son crime (Gen 4,15), de façon à enrayer la réaction en chaîne de violence dans l’humanité (c’était bien essayé, hein?) Genèse 4 et ce psaume donnent ainsi la même réponse à la question de Caïn.
« Suis-je le gardien de mon frère ? – Eh bien sache que je suis/serai le tien. »
Gardien, mais comment ?
Il te garde quand tu sors et quand tu entres. Entrée/sortie de quel lieu ? Dans le contexte liturgique, c’est d’abord le lieu de la célébration (temple ou autre).
Mais on peut élargir aux lieux de la vie quotidienne, privés ou publics. À ceux de l’espace naturel, forêt, défilé, cours d’eau. Chacune des entrées-sorties portant des charges d’affect (joie, repos, risque, fatigue).
On peut encore entendre l’entrer-sortir comme référé à l’histoire d’Israël, aux épisodes d’exil et retour d’exil.
On peut l’entendre, enfin, de manière radicalement existentielle. Le veilleur veille à toi quand tu sors du ventre de ta mère pour entrer dans le vivre avec les autres humains. Et inversement quand tu sors de la vie et entres dans le sein de la terre. (Pour l’éventuelle entrée au-delà, rappelons que la croyance en quelque chose après la mort est peu présente dans le judaïsme). Et ainsi cette alternance entrer/sortir rejoint concrètement celle du souffle de l’humain qui inspire et expire.
Le gardien est présence à ce souffle, il est dans ce souffle*. Et voici à nouveau la Genèse. « YHWH Elohim forme l’adam de la poussière de la terre. Il insuffle en ses narines une haleine de vie : et c’est l’humain, un être vivant. » (Gen 2, 7).
*Certains rabbins considèrent que la seule manière de prononcer le Nom imprononçable est une inspiration suivie d’une expiration (dit Delphine Horvilleur cf Vivre avec nos morts ou Il n’y a pas de Ajar)
Illustration : photo par Denis Doukhan de Pixabay
Suis-je le gardien de mon frère? Cette question est rhétorique et provocatrice : Caïn (ou un quelconque “je”) la pose parce qu’il sait intimement que la réponse est oui , qu’elle est inscrite sur chaque visage (Levinas ?) il joue au con pour ne pas être criminel. Chaque épuration ethnique, génocide, est précédée par un grand lavage de neurones parce que c’est cool et avantageux parfois d’être con pour arriver en haut de la montagne sans une « ombre » de concurrence. Je m’égare pardon…quoique…
En ces temps de canicule qui dira les bienfaits de l’ombre , et ai-je rêvé cette Annonciation ( Vinci, suffit-il)où l’ombre est le chemin entre l’Ange et la jeune femme en passe de porter la vie?
Merci de cette riche lecture !
Très juste. Il faut en effet pointer la mauvaise foi de la question, cette façon de jouer au faux con pour mieux être un vrai salaud. Attitude tellement humaine trop humaine, et d’une actualité toujours renouvelée, à petite et grande échelle.
« Je lève les yeux vers les montagnes »