Je voudrais du soleil vert. En ce début de printemps, le jardin des Tuileries n’en délivre qu’avec parcimonie. Je me hâte mollement vers un ennuyeux rendez-vous professionnel en me distrayant à chercher parmi les passants quelque visage connu. Rue Saint-Honoré, à deux pas de l’immeuble haussmannien du Ministère de la Culture enveloppé dans une résille d’acier inoxydable affirmant la posture résolument contemporaine de ses commanditaires, mon regard est aimanté par le vieillard à la peau cuivrée, en appui sur sa canne de marche, qui se meut vers moi avec difficulté. Les années passent. Qu’il est loin l’âge tendre.

A vingt mètres de le croiser, incertain, interdit, je le reconnais et me lance pour lui exprimer mon admiration fervente. Je voudrais de la lumière. Deux pas en retrait, un grand black en costume sombre semble veiller sur la célébrité. Cette présence protectrice me convainc de stopper mon élan et de renoncer à importuner inutilement Henri. Je le laisse passer dans une fausse indifférence. Il poursuit sa déambulation précautionneuse. Je n’en peux plus de t’attendre.

Quelques mètres plus loin, tenaillé de regrets, je me retourne et constate avec dépit que le géant noir l’a doublé sans aménité. Il n’était pas son garde du corps. J’aurais pu échanger quelques mots simples avec le chanteur et le gratifier de modestes louanges nostalgiques. Nul ne peut nous entendre. La mélodie entêtante coule en moi son rythme mélancolique de bossa nova.

Ma gorge se noue, ma bouche s’assèche, râpée par l’astringence des lents poisons qui tournent les sangs. Non seulement la rencontre n’a pas eu lieu mais la réduction spontanée de l’homme de couleur au statut supposé d’agent de sécurité m’a violemment jeté à la figure la puissance des préjugés raciaux dont je me croyais exempt.

Je voudrais toujours me plaire dans mon jardin d’hiver.

.

.

.

(Photo Dimitri Dim, Pexels)

Marc Bécret

Marc Bécret

Marc BECRET se définit comme un homme ordinaire qui cherche à échapper à la médiocrité. Né à la fin des années 50 du XXème siècle, il entame la dernière partie de son existence. Il aime à dire que la vie n’est que le long apprentissage du renoncement à la vie et songe souvent à l’affirmation attribuée à Georges BATAILLE selon laquelle il faut regarder venir la mort les yeux dans les yeux et l’accueillir comme une ultime jouissance. La littérature constitue l’une de ses béquilles existentielles mais il hésite à écrire de peur de rajouter de la banalité à la banalité et n’a donc jamais publié.

    Voir tous ses articles

    3 Commentaires

    • Laure-Anne dit :

      En tous cas votre chemin intérieur aux Tuileries accompagné par cette merveilleuse chanson, entre admiration empêchée et culpabilité c’est la vie dans sa loyauté, sa simplicité , et cela rend bien hommage , il me semble, au bout du compte. aux deux humains à côté de qui vous êtes passé…

    • Marc BECRET dit :

      Merci de ce retour !
      Ecrit avant les émeutes ayant conduit à la mort du jeune de Nanterre, le texte peut aussi être lu comme l’illustration d’une forme de racisme inconscient qui imprègne les couches sociales prétendument les plus progressistes de la société française…

    • LEROY dit :

      Bel exercice de style! Jolie idée et belle facture,
      J’imagine le ministère, ses dentelles et ses théières , le regard de la célébrité « dans son île, aux golfes clairs » génératrice de la Bossa-Nova, voir ses photos de bords de mer. A sa sortie, le grand black n’était-il pas l’un des Nicholas Brothers?
      Au plaisir de vous lire à nouveau mon cher Marc, je garde les yeux ouverts…

    Laisser un Commentaire

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.