Le message de La laitière et le pot au lait (livre VII,10) est très simple : faut pas rêver.

C’est vrai quoi : Perrette aurait dû choisir la sécurité et le réalisme. Plutôt que perdre son temps à envisager un concept chimérique d’entreprise agricole bio intégrée à taille humaine, elle aurait mieux fait de s’inscrire direct au Pôle-Emploi local (euh pardon France Travail). Elle aurait postulé à la ferme des 1000 vaches pour un poste où épanouir sa créativité en management bovin, satisfaire son aspiration au travail en équipe, mettre en œuvre ses connaissances et compétences acquises durant son cursus de formation. Le tout pour une rémunération attractive et des perspectives de carrière alléchantes.

Au début de la fable cependant, elle fait plaisir à voir, la petite Perrette, bien dans sa peau et ses pompes, dans la belle énergie d’une jeunesse que l’expérience n’a pas encore alourdie

Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,/Ayant mis ce jour-là pour être plus agile,/Cotillon simple et souliers plats.

Si optimiste, si confiante en la vie et en elle-même : « Il m’est, disait-elle, facile/D’élever des poulets autour de ma maison : /Le renard sera bien habile,/S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon. »

On n’a qu’une envie, c’est qu’elle réussisse. Mais le narrateur l’attend au tournant. La Fontaine est-il en cette affaire saisi du sadisme inconscient des soignants et éducateurs (et moralistes) ? (Ach Ariane, Ich allais le sagen !) (Ja Ich weiss, Papa Sigmund, aber Ich adore parlieren à votre Platz).

Ou peut être JLF fait-il preuve ici (ce n’est pas incompatible) d’une ironique auto-dérision envers ses propres rêves et ambitions ? Son Perrette c’est moi en quelque sorte.

Quoi qu’il en soit, toute à l’image de son futur veau gambadant, elle est gagnée par l’euphorie (aurait-elle fumé certaine herbe du pré, dûment prohibée pourtant par un édit du Roy ?)

Perrette là-dessus, saute aussi, transportée./Le lait tombe.

Et elle aussi, de haut. Reste plus à la pauvre fille qu’à aller s’excuser à son mari,/En grand danger d’être battue. Bref la voici à tous points de vue fracassée tout pareil que Rimbaud par la rugueuse réalité.

Cette mésaventure aura-t-elle définitivement coupé les ailes à la petite Perrette ? J’aime à croire au contraire qu’elle saura rebondir. Grâce à son conseiller de Royaume Corvée, naturellement. Il lui dira « Bon vous avez eu quelques accidents dans votre parcours professionnel, mais vous savez, être une héroïne de La Fontaine, c’est pas donné à tout le monde : c’est le grand plus de votre CV ».

Et c’est là qu’elle boira du petit lait, Perrette.

Image : Peter H de Pixabay

Un Commentaire

  • Laure-Anne dit :

    On oublie là aussi souvent le vilain mari de la fin qui va la battre comme plâtre …et ne lui aurait peut-être laissé aucun profit ni joie de ses veaux et couvées…
    En fait d’entrée elle était cernée, Perrette, et elle a bien fait de se faire une petite virée à la ville légère et court vêtue, et de sauter une fois de joie, fût icelle chimérique…toujours ça de pris!

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