Révolutionnons l’ortografe (Lyon fac de lettres juin 1968)
La plume écrivant révolutionnons avec 2 n et accord correct, réservant son effort de sabotage militant au mot honni, trahit à mon sens son appartenance à la classe supérieure. Révolutionner l’orthographe : souci de linguiste plus que de scripteur lambda (sigma). Le vrai défi n’est-il pas de réduire la possibilité d’injustice sociale pouvant passer par la pratique de la langue ? Non ?
Les règles et usages de la langue visent le même objectif que les règles d’un jeu, créer un contrat fair-play entre joueurs. Elles constituent la base commune sur laquelle fonder la communication, dans le contexte d’une époque. L’évolution du contexte demande l’ajustement périodique des règles, en respectant le critère de fidélité à ce contrat. Bref tout cela évolue selon un pragmatisme raisonné que j’avoue préférer au romantisme idéologique et abstrait dont je soupçonne l’auteur du tag (mais peut être va savoir lui fais-je un procès d’intention) (et en plus depuis aussi bien il est mort) (ou pire devenu recteur, voire ministre de l’éducnat).
Sovons les fotes (Niort 2006).
Autant m’agace l’injonction précédente, autant me touche cette supplique. J’y lis le cri du cœur d’un collégien en souffrance (mais va savoir aussi bien c’est un linguiste aussi) (mais si c’en est un il est plus conséquent que le précédent) (qui aurait écrit sauvons les fotes ou sovons les fautes).
Appel au secours ou pas, ce tag s’inscrit en faux contre l’utilisation ravageuse du mot faute. On ne dénoncera jamais assez les dégâts causés en pédagogie par ce terme moral aux connotations culpabilisantes. Dans l’apprentissage il n’y a pas de fautes (sauf poignarder son prof ou harceler son petit camarade et vice versa on est d’accord) (ce qui hélas n’arrive que trop par les temps qui courent), il n’y a que des erreurs. Que leur analyse rendra utiles au progrès visé. Comment apprendre, sinon par essais et erreurs successifs ?
Bref révolutionnons l’ortografe ou pas, elle vivra sa vie de toutes façons. Mais pour qu’il fasse de même, il faut gracier l’élève présumé fautif : errare humanum est. Tiens ça me fait penser tant qu’on y est soyons fous et « Ressuscitons les langues mortes ! » « Réanimons-les par le bouche à bouche ! » Et pourquoi pas Souffrez que pour l’amour du grec je vous embrasse.
Serrons-nous les coudes au lieu de se casser les couilles (Niort 2007)
J’aimerais que le capital tombe avant mes seins (Paris 20° 2016)
J’admets sans démonstration que la première phrase est d’un tagueur, la seconde d’une tagueureuse (mais désabusée). Ces scripteurs formeraient un couple bien assorti, unis qu’ils sont dans le militantisme anti-capitaliste et la réprobation de la loi de la jungle. En outre, ils savent combiner réflexion politique abstraite et prise en compte du corps. Genre Sartre Beauvoir, quoi.
Nul doute la grande Simone eût reconnu volontiers pour sa fille cette Mademoiselle de Paris-Vingt.
Bon OK on m’alléguera qu’en revanche JP n’aurait pas commis le zeugma syntaxique affiché ici par Monsieur de Niort. Vous savez quoi ? Il aurait eu bien tort. Ce parallèle entre le nous inclusif et l’impersonnel n’est-il pas parlant ? Et doublement parlant. Non content d’exhorter à la solidarité l’ensemble des êtres humains, il fait entendre l’absurdité de la confusion entre violence et virilité.
Photo Mabel Amber, who will one day de Pixabay
Joli jeu de devinette sur qui a écrit quoi.
Oui, je sais, en principe, le français, contrairement à l’anglais, ne connaît pas la double interrogation de ce type. Mais la langue, au-delà de l’orthographe, vit sa vie – en effet. De manière généreuse, ne refusant pas un petit service au locuteur pressé ou paresseux (raisonnablement, s’entend). Et c’est tellement heureux ! La langue et sa mise en oeuvre forment ainsi l’un des rares espaces de notre société où c’est encore le peuple-usager qui décide, non pas par coups de boutoir ou coups de balancier d’un extrême à l’autre, mais par frottement des inventivités les unes aux autres, par ajustements réciproques, dans le respect du contrat tacite qu’au bout du compte il faut continuer à se comprendre. Et causent toujours les intellos révolutionnaires de salon ou les académiciens conservateurs sous coupole.
Décidément, ces tags donnent à réfléchir : merci !
Merci de ta lecture, j’adhère totalement à tes remarques. Et certes l’on voit plus que jamais combien l’usage de la langue est homogène aux comportements sociaux, si bien que quand les uns se dérèglent l’autre est affecté aussi, à moins que ce ne soit l’inverse. Oui décidément ces tags sont philosophes …