Pluies éparses

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Il a plu sur une terre chauffée par le soleil de mai. Plus loin, il pleut encore, en ondées mouvantes. Une vapeur blanchâtre monte du sol et s’enroule en volutes fines comme autant de signaux de fumée codant la progression des averses. Ou bien, se dissout dans l’air pour s’élever en une brume légère qui se love dans les plis de la montagne, flotte dans ses échancrures, s’accroche et se déchire à ses parois, s’effiloche sur les sommets et, finalement, renaît en nuages vaporeux qui, peut-être, fourniront la prochaine averse.

Ainsi les brumes se font et se défont, se dissolvent puis se reforment, se reconfigurent, comme le font aussi les nuages mais en plus léger, plus diffus, plus subtil. Transitoires et vagabondes, elles offrent à la rêverie l’image sensible de l’impermanence sans pour autant ouvrir sur le néant. Occultant le paysage sans le fermer tout à fait, suggérant les formes qu’elles habillent et dissimulent, les brumes laissent deviner un lointain, un ailleurs possible. Leur lieu est un espace ouvert – quoique voilé – sur lequel le regard s’arrête sans buter, un espace qui suggère une ligne de fuite que le songe peut investir. La beauté des brumes tient à ceci précisément (que la peinture chinoise a si bien appréhendé) qu’elles mettent un possible dévoilement au cœur du paysage, à fleur de regard, à portée d’imagination.

Soudain, entre deux averses, le soleil s’infiltre, puis s’impose. Une lumière de chaude transparence joue avec la brillance des feuillages mouillés. Le paysage accueille ce moment d’instabilité, dont il se fait le miroir. Au loin, un rideau de pluie bleutée hachure et tamise l’éclaircie qui, un instant, s’est posée sur la mer d’azur. L’horizon, au couchant, se devine comme au travers d’une vitre embuée, cependant qu’à l’opposé, à l’Est, un ciel exubérant de cumulus blancs, moussant sur un à-plat couleur d’ardoise, ouvre son espace au spectre complet d’un très vif arc-en-ciel. De cette nouvelle alliance entre le ciel et la terre advient enfin l’apaisement des éléments : la dernière ondée ne sera que caresse, que doux effleurement.

Sylvie Mellet

Sylvie Mellet

Retraitée du CNRS où je menais des recherches en linguistique, je consacre désormais une large part de mon temps au taï chi, au yoga, à la randonnée, à la lecture et l'écriture. J'aime marcher sur les chemins en étant à l'écoute des oiseaux, des arbres, du vent et de la lumière, de la vie de la nature et j'aime que les pas fassent naître des mots et que les mots rythment mes pas.

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