« Ne laissons pas entendre dans nos propos que nous savons qu’on nous trompe. Ne laissons pas voir sur notre physionomie que nous sentons qu’on nous offense. Nous en retirerons une délectation infinie et un inépuisable profit. »
Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,126)
Comme quoi la chinoiserie rejoint le machiavélisme. Un rapprochement sino-italien qui n’a rien pour étonner. Depuis Marco-Polo jusqu’aux actuelles routes de la soie, les échanges commerciaux et culturels de ces mondes n’ont pas cessé. Sous le régime, naturellement, de la duplicité calculatrice qui fait les bons joueurs de go aussi bien que d’échecs.
Et les as de poker. Car ici, c’est plus particulièrement de bluff qu’il s’agit.
(Un bluff qui est la caractéristique du capitalisme boursier) (mais bon c’est pas directement le sujet) (quoique).
Bref l’utilité, pour gagner une partie ou des parts de marché, de garder son masque de poker face en toutes circonstances, n’est plus à démontrer.
Quel que soit son état d’esprit, que l’on soit confiant ou pas, sincère ou pas dans son attitude confiante, c’est vrai qu’on n’a rien à perdre à afficher l’impassibilité.
Et même, dit Hong, on a tout à gagner. En profit sonnant et trébuchant, et aussi en plaisir. Une délectation infinie.
Le profit, c’est clair. Celui qu’on trompe mais qui fait genre qu’il ne le voit pas a évidemment une longueur d’avance. À malin malin et demi : adage valable à Pékin comme à Venise et Florence. Comme n’importe où.
Une longueur d’avance qui lui permettra d’anticiper pour se défendre efficacement de la tromperie. Et plus si affinités, par exemple passer à l’attaque lui-même, par esprit de vengeance ou pour toute autre (aussi bonne) raison.
Mais la délectation, en quoi consiste-t-elle ? Bien sûr il y a le fait de savourer le pouvoir de se situer comme en surplomb de l’autre.
Mais pour ma part j’y vois d’abord le plaisir paradoxal du comédien, qui joue avec son personnage autant qu’il le joue. Plaisir du second degré. Voir le pas-malin jouer au malin, se voir malin feintant le pas-malin. Précisément en simulant la pamalinitude dont il se croit exempt. (On arrive au 3° degré, là).
Bon c’est pas plus sympa peut être que le bluff en bourse ou à la table de poker.
Mais au moins le comédien ne peut pas être soupçonné de jouer pour l’appât du gain.
Image congerdesign (pixabay)
Si le plaisir du surplomb et de ce qu’il va rapporter est indubitable pour le machiavélique (il peut être traficoteur en bourse mais aussi tant d’autre chose, influenceur internet ou leader politique par exemple), je ne suis pas sûre qu’il ait vraiment part à celui de l’acteur.
Tu mentionnes à juste titre la différence de ce que ça rapporte matériellement, prises de pouvoirs ou d’intérêts de toutes sortes pour le machiavélique, chinois ou pas ; mais il me semble qu’il faut aller, pour l’acteur, jusqu’à parler de gratuité : un acteur joue comme un enfant à cache- cache, à fond dans l’histoire, pur plaisir de fusion, et plus il est à fond, et plus sa nécessaire distance, sa part consciente est heureuse de faire aussi bien l’enfant… sauf s’il est narcissique, et là il peut rejoindre tous les monsieur Hong.
D’accord pour ces précisions. Les acteurs peuvent accéder à la gratuité, sans doute parce qu’ils savent qu’ils jouent, à la manière de l’enfant qui le sait tout en étant à fond, comme tu le dis justement.
Différence entre jouer sciemment (et savamment ) un rôle, et être pris dans le narcissisme du faux-self, comme tous ceux que tu évoques.
Ce qui amène à réfléchir au fait qu’internet est une machine à produire du faux-self, quand les vraies scènes de vrai théâtre sont des lieux d’authenticité.
« L’art n’est qu’un jeu, mais il faut jouer avec le sérieux de l’enfant ». Borges spécialiste (entre autre) de bestiaires chinois.
Sur le comédien je modifierai légèrement votre formule : il joue avec son personnage autant que son personnage le joue.